La pression s'intensifie sur les héritiers Wildenstein. Outre la salve de plaintes déposées par feue Sylvia Roth-Wildenstein, épouse désormais décédée du fameux marchand d'art Daniel Wildenstein (lui-même disparu le 23 octobre 2001) mais dont l'action au pénal se poursuit par-delà son trépas, les fils de celui-ci font désormais l'objet d'investigations pour des présomptions de "recel". Les policiers de l'Office central pour la lutte contre le traffic de biens culturels (OCBC), dans le cadre d'une enquête parallèle au scandale politico-financier amené sur la place publique par Sylvia Roth-Wildenstein, ont en effet procédé à la saisie, lors d'une perquisition pratiquée les 11 et 12 janvier à l'institut Wildenstein sous l'autorité du juge André Dando, d'une trentaine d'oeuvres d'art "disparues ou volées", révèle le magazine Le Point - information confirmée par l'AFP.
Guy Wildenstein, devenu le chef de famille à la mort de son père, se retrouve ciblé par une nouvelle enquête, qui s'ajoute aux actions engagées par la défunte veuve pour spoliation et à la boîte de Pandore que celle-ci a ouverte, révélant un scandale politico-financier nébuleux où apparaissaient - simultanément à leur implication dans l'affaire Bettencourt - les noms d'Eric Woerth et Nicolas Sarkozy. Tandis que son père, magnat des arts apprécié, était demeuré hors de la sphère politique, Guy Wildenstein est en effet un représentant (UMP) de la circonscription de Washington au sein de l'Assemblée des Français de l'étranger, gros donateur du parti (membre du Premier cercle qui fut animé par l'ancien ministre du Budget), et proche de Woerth et de Sarkozy, qui le décora de la Légion d'honneur en 2009.
"Depuis l'origine de cette affaire, je dis qu'il y a du recel" (Me Claude Dumont-Beghi, avocate de Sylvia Roth-Wildenstein)
S'il s'agit des éléments de ce qu'on appelle une "procédure incidente", d'une autre enquête indépendante certes, mais dans le droit fil de l'affaire Sylvia Roth/Guy Wildenstein, cette avancée rejoint bien le premier pan du dossier : "Depuis l'origine de cette affaire, je dis qu'il y a du recel", fait valoir Me Claude Dumont-Beghi, avocate de Sylvia Roth-Wildenstein, satisfaite de constater que ses "vives présomptions" de longue date qu'il y a "des choses intéressantes dans les coffres de l'Institut" soient confirmées. Cette dernière, décédée le 13 novembre 2010 à l'âge de 77 ans des suites d'un cancer et inhumée dans la tradition juive au cimetière du Montparnasse (en présence de Guy Wildenstein !), avait maintes fois dénoncé, dans ses accusations d'avoir été spoliée de l'héritage de son époux par les fils de ce dernier (qui la poussèrent à signer un renoncement en lui faisant croire que leur père était en faillite), l'existence de "trusts hébergés dans des paradis fiscaux (...) qui abritent des biens colossaux qui n'ont pas été déclarés dans la succession de Daniel Wildenstein". La veuve ciblait notamment des trusts (Davidtrust, Deltatrust, Sonstrust) hébergés aux Iles Caïman et à Guernesey - déjà, en 2008, la cour d'appel avait elle-même mentionné "l'évasion du patrimoine [de M. Wildenstein] dans des sociétés étrangères et des trusts".
D'abord déboutée, la veuve avait contre-attaqué en juillet 2010 via une plainte avec constitution de partie civile pour "abus de confiance" déposée auprès du pôle financier de Paris. Laquelle plainte déboucha sur l'ouverture d'une information judiciaire confiée au juge Guillaume Daïeff, soutenue notamment par le groupe PS dans l'hémicycle, lequel avait interpellé l'Assemblée Nationale concernant ce dossier, dénonçant la cécité volontaire des services concernés quant à "l'existence de sociétés écrans" et pointant les accointances de Guy Wildenstein avec l'UMP (Sylvia Wildenstein avait en effet adressé aux ministres Woerth et Baroin des courriers restés sans suites).
Deux plaintes avaient donc été déposées avant sa mort par Sylvia Roth-Wildenstein, instruites par des juges d'instruction du TGI de Paris Guillaume Daieff et Serge Tournaire, pour "abus de confiance", "blanchiment", organisation frauduleuse d'insolvabilité", "faux et usage"...
Fin octobre, le parquet de Paris ouvrait de son côté une enquête préliminaire, suite à une plainte contre X pour "corruption active et passive" et "trafic d'influence" déposée par Sylvia Roth, élargie ensuite à des faits présumés de blanchiment d'argent et recel et organisation frauduleuse d'insolvabilité.
Les policiers dans la caverne d'Ali Baba : un incroyable inventaire !
Les 11 et 12 janvier dernier, les policiers de l'OCBC ont découvert à l'Institut Wildenstein (VIIIe arrondissement de Paris) une chambre forte aux allures de "véritable caverne d'Ali Baba, avec, entassés du sol au plafond, plusieurs centaines de tableaux et sculptures", écrit lepoint.fr. Parmi ce butin grandiose, "une trentaine d'oeuvres déclarées disparues ou volées, que les enquêteurs ont immédiatement saisies". Les précisions du Point sont édifiantes : les enquêteurs de l'OCBC mandatés par le juge Dando "savaient ce qu'ils cherchaient", puisqu'il s'agissait de la "deuxième perquisition en moins de deux mois au 57, rue de la Boétie", un "hôtel particulier qui jouxte le siège de l'UMP". Le magazine revient sur la première perquisition : menée au mois de novembre par les enquêteurs de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), elle avait pour but "d'évaluer l'ampleur réelle du patrimoine de la famille", dans le cadre de l'enquête autour de la succession de Daniel Wildenstein suite aux plaintes pour "abus de confiance" et "blanchiment" déposée par Sylvia Roth-Wildenstein.
Le Point raconte les surprises de leur inventaire : "Le 17 novembre, les enquêteurs s'étaient contentés de photographier les oeuvres du coffre dans le cadre d'un inventaire. Stupéfaction, après examen des clichés, ils repèrent plusieurs oeuvres d'origine douteuse. De fil en aiguille, les policiers s'intéressent à l'huile de l'impressionniste Berthe Morisot. Cette toile, évaluée à 800 000 euros, avait disparu lors de la succession en 1993 d'Anne-Marie Rouart." Cette découverte est à l'origine d'une plainte contre X pour "recel" déposée par Yves Rouart, ancien expert, neveu et cohéritier désigné d'Anne-Marie Rouart, qui cherche depuis des années à remettre la main sur les oeuvres disparues de la succession de sa tante.
Yves Rouart soupçonne une manoeuvre frauduleuse stupéfiante des exécuteurs testamentaires désignés par sa tante : Olivier Daulte et Guy Wildenstein (!!!), des proches. Anne-Marie Rouart, faisant de l'Académie des beaux-arts le principal légataire, avait toutefois légué à son neveu tous "les meubles meublants" - mobilier et oeuvres accrochées. Pour Yves Rouart, la combine est simple, comme le relate Le Point : "Les exécuteurs testamentaires, proches de la défunte, auraient profité de l'inventaire de la succession pour décrocher les toiles. Une fois posés par terre, les tableaux, qui n'étaient plus des "meubles meublants", ne rentraient plus dans l'héritage d'Yves Rouart." Incroyable... Et le magazine de rappeler que l'héritier avait été débouté d'une première plainte (en 1997), mais avait vu ressurgir "24 oeuvres disparues, retrouvées dans le coffre suisse des Daulte". Un rebondissement étouffé à l'amiable.
Recels en cascade
Rebelote aujourd'hui avec cette énorme perquisition dans la chambre forte de l'Institut. Une toile, notamment, cristallise les débats : la "Chaumière en Normandie", cette huile à 800 000 euros retrouvée dans le coffre de Guy Wildenstein, le deuxième exécuteur testamentaire. "On est en droit de demander aux Wildenstein où se trouve le reste des pièces disparues", déclare au Point Yves Rouart.
Ce dernier n'est pas le seul à attaquer "contre X" les héritiers Wildenstein pour recel. Alexandre Bronstein, descendant de Joseph Reinach, en a fait autant, adjoignant au recel une plainte pour vol, après avoir identifié grâce aux photos des policiers un bronze de Rembrandt Bugatti (plusieurs ont été saisis, dont un qui pourrait motiver une action au nom de Suzanne Reinach, résistante et ancienne déportée de 97 ans) et un dessin Degas (deux ont été retrouvés).
L'étau se resserre...
G.J.
Tous les détails de ces investigations sont à découvrir dans l'enquête spectaculaire du Point.