Errance hallucinogène et aliénation mentale dans Stay the same par Daniel Wolfe, atemporalité bucolique et mise à nu dans Wastin' Time devant la caméra d'un petit génie de l'esthétisme nommé Yoann Lemoine (alias Woodkid), hystérie collective et consignes de visionnage pour le clip en vue subjective primé Cover your Eyes... La musique du duo The Shoes se veut certes dansante, mais elle ne s'en avère pas moins dramatiquement cinématographique - comme un clin d'oeil au passé du tandem rémois, formé par Guillaume Brière et Benjamin Lebeau, sous le nom de The Film.
Nouveau chapitre à cette discographie-filmographie, Time to Dance, single extrait d'un EP éponyme paru le 12 mars à trois mois du passage de The Shoes à l'Olympia (le 13 juin), dont la frénésie gigotatoire, qui semblerait presque héritée du D.A.N.C.E. d'un autre duo électro français mondialement prisé (Justice), s'est entre-temps encombrée d'une publicité passée en boucle pour Peugeot (308 Sportium).
On oublie la réclame et on prépare les mouchoirs : ça va éclabousser, et il y aura des larmes (encore) et du sang à éponger. Quand on connaît une révélation aussi fulgurante et hype que celle de The Shoes, qui publiait au printemps dernier un premier album sur des charbons ardents, Crack my Bones, on peut à peu près tout se permettre ; y compris solliciter une pointure d'Hollywood et en faire un serial killer glacial et flippant pour transformer un morceau conçu pour remuer les foules en court métrage horrifique et sanglant, ouvertement ancré dans le genre du slasher (films d'horreur mettant en scène un tueur psychopathe, de préférence masqué et bien sanguinaire, qui occit en série les individus d'un groupe - Vendredi 13, Halloween, Scream...). Jake Gyllenhaal est celui-là, devant la caméra (à nouveau) du Britannique Daniel Wolfe. Ce dernier a confirmé à Spinner l'orientation slasher en expliquant que The Shoes, "son groupe préféré" pour lequel il a signé Stay the same, lui a donné carte blanche, et en précisant qu'il avait souhaité se focaliser sur le tueur plutôt que sur les victimes. Un parti pris choc.
Le mémorable cow-boy gay du Secret de Brokeback Mountain et Prince of Persia bodybuildé, récent juré de la 62e Berlinale qu'on devrait prochainement découvrir dans End of Watch et Nailed, renoue avec le terrain de jeu du serial killing qu'il avait arpenté en tant qu'enquêteur dans Zodiac de David Fincher. Cette fois, dans la peau du bourreau. Un bourreau muet, froid et implacable, au regard vide d'humanité, qui, entre une séance à la salle de sport, un sauna et un passage entre les mains du barbier, dans la grande tradition des serial killers ultra-perfectionnistes, perpètre son carnage. Et ajoute la panoplie de l'escrimeur à la grande saga du genre. A mains nues, comme cette première victime dont il écrase la face contre un miroir, ou au fleuret, arme de prédilection qui lui permet de décimer les fêtes, de laisser des mares de sang et d'entasser les cadavres. Stroboscopiques et traumatisantes, les images de mort surgissent ça et là avec perversité, pop-ups morbides contrastant avec le calme olympien du tueur.
Il va y avoir moins de monde aux soirées. Et volent les colombes...
Guillaume Joffroy