Les accusations tombent les unes après les autres. Les dernières en date concernent le réalisateur Nils Tavernier, 59 ans, visé par deux plaintes pour viol déposées par Jennifer, 45 ans, mineure au moment des faits et Laura, 32 ans, âgée de 19 ans lorsqu'elle a eu affaire à Nils Tavernier. Les deux femmes se sont entretenues avec les journalistes du Nouvel Obs qui ont pu consulter les plaintes.
Le déclic chez les deux plaignantes s'appelle Judith Godrèche. Lorsque l'actrice et réalisatrice révèle pour la première fois les sévices qu'elle aurait subis par Benoît Jacquot (elle a également porté plainte contre Jacques Doillon), Jennifer et Laura ne peuvent que s'identifier à son discours : "Quand j'ai entendu Judith expliquer qu'on est pas en capacité de comprendre ce qui se passe quand on est sous le pouvoir de quelqu'un de plus puissant, j'ai pleuré pendant trois jours. Pour la première fois, j'en ai parlé à mon psychanalyste. Tout est remonté, j'étais bouleversée, j'ai coupé toute communication pendant plusieurs jours" a affirmé Laura avant de rallumer son téléphone et de constater qu'une certaine Jennifer voulait entrer en contact avec elle.
Jennifer n'avait que 12 ans quand elle a rencontré Nils Tavernier pour la première fois. Les deux jouent dans le téléfilm Sabine, j'imagine : "Il me faisait monter sur ses genoux, me tenait la main. Tout le temps, il disait qu'il était amoureux de moi, ça ne choquait personne", indique-t-elle. Ce dernier aurait fini par l'embrasser "soudainement, avec la langue" : "Je n'avais jamais embrassé un garçon, j'ai rangé cet acte incompréhensible dans un coin de ma tête, comme une erreur, je n'ai rien dit à personne."
Quelques mois plus tard, pour "discuter d'un scénario", Nils Tavernier convie Jennifer chez lui. La visite d'appartement se transforme en calvaire pour l'adolescente alors âgée de 13 ans : "J'avais des Dr. Martens montantes, une robe noire longue, un pull rouge par-dessus, il m'a grondé d'avoir des vêtements si peu pratiques à enlever. J'avais à peine 13 ans, j'étais menue, pas formée, je ne portais pas encore de soutien-gorge, juste des brassières petit bateau. [...] Il s'est mis à genoux, a sorti son sexe en érection. Je n'en avais jamais vu. j'ai dit non, à deux reprises. Il a insisté 'Tu ne peux pas me laisser comme ça', m'a pris la main pour le masturber. Sa bouche était près de mon oreille, j'entendais ses râles."
Vingt ans plus tard, c'est sur le tournage de son propre film, De toutes nos forces, que Nils Tavernier croise la route de Laura Lardeux, alors étudiante en cinéma de 19 ans embauchée pour jouer le rôle d'Anne dans le film. Cette dernière affirme qu'elle a elle aussi été conviée dans la chambre du réalisateur pour un test photo : "Il m'a demandé d'enlever mon soutien-gorge, pour que je 'respire plus librement', puis il a ouvert ma chemise, jusqu'à découvrir mes seins. J'étais très mal à l'aise, mais je me suis dit que ça devait être normal de demander cela."
Cette fois-ci, toujours selon les dires de la jeune femme, la manière d'agir est différente : "Je n'avais pas le droit de parler à l'équipe, je devais dîner tous les soirs avec lui. Il me questionnait sur mes failles et les problèmes avec ma mère, l'absence de mon père, il louait mon intelligence, mon talent. [...] Il m'a volontairement isolée, pour assurer son emprise." Un isolement confirmé par une scripte du tournage qui affirme néanmoins n'avoir "jamais vu le moindre geste déplacé" de la part du réalisateur.
Toujours d'après le témoignage de Laura, s'il a tenté de l'embrasser et qu'elle l'a repoussé, Nils Tavernier serait finalement allé beaucoup plus loin une autre fois : "Il s'est approché de moi, je n'ai pas osé partir. Je l'avais vu crier fort sur le tournage, j'avais peur d'être viré, de me retrouver blacklistée du cinéma, vu sa notoriété. Il m'a dit que je devais lui faire confiance. [...] J'ai fini par le laisser faire, j'ai fermé les yeux. Après la pénétration, il m'a dit de partir, pour ne pas qu'on nous voit. Pendant des mois ensuite, il m'a écrit et appelée. Il m'a proposé un stage de montage, que j'ai refusé."
Contacté par le Nouvel Obs, Nils Tavernier se dit "abasourdi" et nie les faits qui lui sont reprochés : "Vous évoquez deux plaintes pour viol, c'est inouï." Celui qui affirme n'avoir "rien à [se] reprocher" a refusé de répondre aux questions. Les avocats de Nils Tavernier se sont aussi exprimés dans la soirée du vendredi 6 avril par le biais d'un communiqué transmis à l'AFP : "Notre client conteste formellement les accusations de viols rapportées par le Nouvel Obs. Il ne répondra qu'à l'autorité judiciaire, s'il devait y être invité" indiquent-ils. Le Nouvel Obs s'est également intéressé à l'entourage du cinéaste, qui décrit un homme "humain", "sensible", "bienveillant" mais parfois "irritable". La scripte ayant confirmé l'isolement de la plaignante Laura évoque quant à elle "un fils à papa colérique et misogyne" sans toutefois évoquer les mots de "prédateur sexuel."
Pour les deux plaignantes, ces actes n'ont pas été sans conséquences : "problèmes gynécologiques, ulcères perforant à l'estomac, anorexie, tentatives de suicide" pour Jennifer quand Laura évoque "une vie de femme bloquée, coincée dans la mélasse." Les plaintes ont été déposées le 13 février en Normandie pour Jennifer, le 20 mars en Rhône-Alpes pour Laura. C'est désormais au parquet de décider s'il donne suite à ces plaintes, ou pas.
Nils Tavernier est présumé innocent des faits qui lui sont reprochés jusqu'à clôture de la procédure de justice.