C'est une terrible affaire qui pourrait secouer le monde de la médecine mais aussi de l'audiovisuel. Gérard Miller, connu comme psychanalyste, chroniqueur star de Laurent Ruquier sur France Inter et France 2, professeur de philosophie à l'Université Paris 8, auteur de plusieurs livres mais aussi de films et documentaires, est accusé de viols et d'agressions sexuelles par plusieurs femmes. Témoignages poignants auprès de nos confrères du ELLE.
La première à prendre la parole n'est pas une inconnue. Il s'agit de Muriel Cousin, animatrice, autrice et metteur en scène qui a été en couple avec Stéphane Guillon. C'était en 1990, elle avait 23 ans tandis que Gérard Miller en avait 42. Ils se croisent à la rédaction du magazine Globe, où elle pige. Alors qu'il annonce être à la recherche d'un cobaye pour une séance d'hypnose en vue d'un article, elle est volontaire. "J'avais vécu un incident traumatisant à Sciences Po, mon petit ami s'était suicidé. Je m'intéressais donc à toutes les thérapies", confie-t-elle. Rendez-vous un samedi après-midi dans les locaux de l'Institut du champ freudien à Paris, une association et une maison d'édition dirigées par le frère aîné de Gérard, Jacques-Alain Miller. Sur place, elle se prête au jeu. Allongée, les yeux fermés... Tout se déroule comme prévu. Sauf qu'à un moment, elle se réveille brutalement. "Soudain, un truc dans mon cerveau m'a sortie de la torpeur. Je me suis dit qu'il se passait quelque chose d'anormal. Il touchait mes seins sous mon pull. J'ai senti aussi sa main passer sur mon sexe, par-dessus le pantalon", se souvient-elle 34 ans plus tard. Choquée, elle prend la fuite.
Après le traumatisme, Muriel Cousin se mure dans le silence. Mais une collègue de l'époque a bien remarqué que quelque chose clochait à son retour au bureau. "Je lui ai demandé comment la séance d'hypnose s'était passée. Elle s'est complètement refermée, elle ne voulait pas en parler", se rappelle-t-elle. "Ça avait l'air douloureux, je n'ai pas insisté, mais j'ai senti qu'il s'était passé quelque chose, au point de me souvenir de son mal-être plus de trente ans après." Puis, finalement, la victime présumée se décide à raconter ce qu'il s'est passé à son entourage. "Mais il ne m'est pas venu à l'esprit de porter plainte. À l'époque, ça ne se faisait pas", confie-t-elle. Son ex-mari, l'humoriste Stéphane Guillon, également père de sa fille, a très tôt pris connaissance de ce terrible épisode : "Muriel m'en a parlé dès le début de notre relation. À chaque fois qu'elle voyait Miller à la télévision, tout remontait."
Cet épisode avec Muriel Cousin ne semble pas isolé. En effet, d'autres femmes témoignent. Parmi elles, une certaine Camille (le prénom a été changé pour préserver son anonymat), 19 ans au moment des faits. En 2004, elle assistait, dans le public, à l'émission On a tout essayé sur France 2. Comme en attestent les images retrouvées par nos confrères du magazine ELLE, Camille a "une dégaine d'ado" en jean large et baskets. Son père admire Gérard Miller, et Camille souhaite lui obtenir un autographe du psychanalyste. Alors elle l'attend en fin d'émission. Durant la conversation, Gérard Miller, 55 ans à l'époque, invite Camille et son amie avec qui elle a fait le déplacement à le rejoindre au Palais des glaces, où se joue Commandeur & Goude, pièce mise en scène par lui-même. "Il s'adressait à nous devant tout le monde, nous faisait nous sentir importantes", raconte Camille vingt ans plus tard. "À la fin du spectacle, il nous a demandé notre âge et a paru satisfait."
La soirée se poursuit chez le professionnel, qui a proposé au duo un verre à la maison, un hôtel particulier avec son cabinet au rez-de-chaussée et une salle de projection au sous-sol. Après un verre d'alcool "de vieux", il leur soumet l'idée d'un jeu "qu'il fait avec ses patients". "L'alcool m'avait étourdie et je trouvais que ce qui se passait était un peu fou. J'étais avec un mec de la télé hyper connu, c'était comme si j'étais l'élue", déclare Camille. Une fois à l'étage, il est question de s'allonger, fermer les yeux et s'imaginer dans un désert avec un cheval "qui représentait [leur] amant". A ce moment, la séance dégénère : Gérard Miller aurait passé sa main sous le pull de la jeune femme. "Il est remonté très progressivement jusqu'à ma poitrine. Je devais être dans un état second, car je n'ai pas réagi. À côté de moi, mon amie s'est levée pour partir", indique-t-elle. De son côté, elle reste : "Je le trouvais vieux et moche, mais quelque chose en moi me laissait croire que je pouvais avoir confiance. Il avait l'âge de mon père... En plus, c'était un psychanalyste." Ils ne sont plus qu'eux deux et elle est invitée à le suivre dans sa chambre. Ici, elle se souvient s'être assise sur son lit. "Pendant qu'on parle, il se tourne vers moi et, d'un seul coup, je sens sa langue râpeuse dans ma bouche ! Et là je vrille", lance-t-elle. "Je suis sidérée, c'est comme un piège qui se referme sur moi. Je ne peux plus bouger, je suis un corps mort qui tremble, une poupée qu'on déshabille et à qui l'on peut faire ce que l'on veut." Puis vient le viol. Durant ce terrible moment, il lui aurait dit : "Je pourrai être ton professeur et tu seras mon élève." Une phrase qui a marqué la jeune femme à vie. Après l'horreur, elle parvient à s'en aller et raconte toute l'histoire à sa meilleure amie. Lorsqu'elle a souhaité porter plainte, elle a découvert que le viol était prescrit. Mais bien des années plus tard, elle souffre encore de malaises et évoque des flash-back douloureux. Parler aujourd'hui est "un soulagement", "une nécessité" pour elle.
D'autres dénoncent elles aussi le comportement inapproprié de Gérard Miller. Lorsqu'il avait sa casquette de metteur en scène, cette fois. En 1998, alors qu'il a sorti son film Terminale, réalisé par Francis Girod, il recrute plusieurs jeunes comédiens, filles et garçons. Une grande majorité gardent le souvenir d'un Gérard Miller "collant" et "insistant" qui proposait aux actrices des rencontres individuelles, officiellement professionnelles. Anna Mouglalis, 19 ans au moment des faits, peut en témoigner. Elle a accepté un rendez-vous chez la star pour évoquer le scénario. "Il me parle immédiatement de visiter son home cinéma au sous-sol, je refuse. Il me suggère ensuite une séance d'hypnose, que je décline également. Je me dis que rien ne va dans ce rendez-vous. L'atmosphère se tend. Il m'annonce qu'il va donner mes répliques à une autre actrice. Les jours suivants, sur le tournage, toutes les filles parlaient de son comportement problématique. L'une d'elles nous a dit s'être laissée hypnotiser et avoir eu un rapport sexuel", balance-t-elle.
Autre tentative avec Typhaine (là encore, le prénom a été modifié), elle aussi comédienne. Toujours sous le même prétexte, il lui donne rendez-vous chez lui à une heure tardive. "En arrivant, il m'a tout de suite servi un verre et a voulu me montrer sa salle de projection au sous-sol. Je me souviens que je me suis retrouvée assise sur ses genoux. J'étais très gênée et timide, je n'ai pas osé dire non. Il m'a proposé une séance d'hypnose, mais j'ai refusé", assure-t-elle. "Je suis sûre qu'il s'était arrangé pour me faire venir tard, il n'y avait plus de métro pour rentrer, j'ai dû dormir chez lui. Mais il ne s'est rien passé, il me dégoûtait. J'ai dormi dans une chambre à part, ce qui ne l'a pas empêché de débarquer en robe de chambre ringarde en plein milieu de la nuit. Je lui ai dit : 'Non, au revoir, bonne nuit.'"
Cécile Rebboah, actrice de renom, a eu droit au même manège : "Gérard Miller m'a appelée un soir tard, vers 22 heures, il voulait m'inviter à dîner pour que l'on parle du rôle. J'avais 20 ans, j'ai trouvé ça vraiment chelou, j'ai décliné. Une autre actrice m'a aussi raconté qu'il avait essayé de l'hypnotiser." A chaque fois, il s'agit de n'inviter que des filles. Loïc Corbery, acteur de Terminale et aujourd'hui sociétaire de la Comédie-Française, se souvient d'une ambiance "malaisante". "Il ne m'a jamais proposé de rendez-vous pour travailler le rôle, je l'aurais accepté volontiers", lance-t-il avec ironie. Toujours d'après les informations de nos confrères du ELLE, "une autre actrice, au moins, aurait subi une agression sexuelle, sous couvert d'une séance d'hypnose au domicile du psychanalyste, sur le divan de son cabinet".
Enfin, dernier témoignage d'une jeune femme qui n'était autre que sa baby-sitter de l'époque. Claire, dont le prénom a été changé, s'occupait du fils aîné du chroniqueur lorsqu'elle avait 19 ans. Un jour, Gérard Miller lui propose de ranger sa grande bibliothèque contre rémunération avant de la raccompagner chez elle en voiture. "Au moment de me déposer, il m'a soudainement touché les seins et a tenté de m'embrasser", se souvient-elle. "Il était plus vieux que ma mère, je gardais ses enfants, ce n'était pas possible ! Je l'ai repoussé et je me suis cassée de la bagnole. L'autre jour, quand je l'ai vu s'excuser dans une émission pour ce documentaire sur Benoît Jacquot, j'ai trouvé ça insupportable."
Avant la publication de l'article, Gérard Miller a été contacté. "Deux journalistes, du magazine Elle m'informent, sans me donner de précisions, qu'elles vont publier un article me mettant gravement en cause. Dès que j'aurai eu connaissance de l'article, je réagirai dans les meilleurs délais ici même", révélait-il sur X, anciennement Twitter, le 26 janvier dernier. Le papier est sorti ce mercredi 31 janvier 2024 au matin., et sera dans le magazine ELLE, en kiosque demain jeudi 1er février. D'après les auteures de l'article, Gérard Miller a répondu "n'avoir jamais abusé sexuellement de quiconque, et ce en aucune circonstance".
Gérard Miller est présumé innocent des faits qui lui sont reprochés jusqu'à clôture du dossier.