"Il n'y a pas de mots pour décrire la tristesse" que ressentent David Beckham, de son propre aveu, et le prince William, mais tous deux en ont pour dire quel homme exceptionnel Henry Worsley était à leurs yeux : l'aventurier de 55 ans, mari et père de deux enfants, est mort dimanche matin (24 janvier 2016) dans un hôpital du Chili, d'une défaillance organique généralisée, deux jours après avoir dû être secouru en Antarctique.
Cent ans après Ernest Shackleton, pionnier de l'exploration du Pole Sud, et son expédition Endurance, Henry Worsley, ancien officier de l'Armée britannique pendant 36 ans, s'était lancé le défi de devenir le premier homme à traverser en solitaire et sans assistance ce continent hostile. Un trek extrême qu'il tentait de mener à bien au profit de The Endeavour Fund, organisme d'aide à la réhabilitation des blessés de guerre soutenu par la Fondation du duc et de la duchesse de Cambridge et du prince Harry. "Une manière de rendre ce qu'on m'a donné à ceux qui ont eu moins de chance que moi", soulignait-il dans son ultime message enregistré - il tenait un journal de bord vocal.
Au bout de 71 jours d'un périple qui a permis de lever plus de 100 000 £ (131 000 euros), quotidiennement documenté sur le site de l'expédition baptisée Schackleton Solo et via son compte Twitter, il a dû renoncer tout près du but - 37 miles, soit un peu plus de 60 kilomètres, sur les 950 prévus. "Mon périple touche à sa fin, a-t-il consigné vendredi, exténué et déshydraté, dans un ultime rapport bouleversant tandis qu'il attendait les secours. J'ai épuisé le temps que j'avais et mon endurance physique. Mon sommet était tout simplement hors d'atteinte." Après deux jours passés piégé par le blizzard et par une température de - 44°C, l'ancien lieutenant-colonel venait de comprendre, trop malade pour pouvoir quitter sa tente, "incapable de mettre un ski devant l'autre" ou même de mettre la bouilloire en route, que l'aventure s'arrêtait là. Mais il ignorait que sa vie aussi... "J'ai passé 70 jours tout seul dans un endroit dont je suis amoureux. Je panserai mes blessures, elles guériront avec le temps, et je digérerai la déception", écrivait-il encore dans son dernier pointage, sans avoir conscience de la gravité de son état.
En parallèle, le compte Twitter de l'expédition Schackleton Solo annonçait qu'Henry avait eu "le courage de passer l'appel" pour être secouru, sonnant le glas de son rêve, et qu'il avait été récupéré dans l'après-midi du jour 71. Le message suivant indiquait qu'il avait été admis dans un hôpital de Punta Arenas avec une grave infection (une péritonite) et que son épouse Joanna avait pris un vol pour le rejoindre. Les derniers selfies en provenance de l'Antarctique suffisaient à deviner combien il pouvait être affaibli par son épopée contre les éléments, mais pas à quel point son organisme était mortellement atteint.
Les médecins ont été impuissants face à l'infection bactérienne, qui s'est fatalement propagée. "C'est avec une tristesse infinie que je vous informe que mon mari, Henry Worsley, est mort des suites d'une défaillance organique généralisée, magré tous les efforts d'ALE et du personnel médical de la clinique Magallanes à Punta Arenas, au Chili, a fait savoir sa femme dans un communiqué. Henry a atteint ses objectifs avec Schackleton Solo, en levant plus de 100 000 livres pour l'Endeavour Fund afin d'aider ses camarades blessés, et en étant si proche de réussir la première traversée du continent antarctique sans assistance. Une traversée faite par des conditions météorologiques extraordinairement difficiles pour commémorer le centenaire de l'expédition Endurance de Sir Ernest Shackleton, son héros de toujours. En mon nom et de la part de ma famille, j'aimerais remercier les nombreuses personnes parmi vous qui, par milliers, ont témoigné leur soutien indéfectible à Henry tout au long de son courageux dernier défi et son acte d'immense générosité en faveur de l'Endeavour Fund. Le total des dons s'élève à 106 773 livres." Un geste qui ne sera pas oublié.
Le prince William a rapidement exprimé son grand chagrin, associant à son communiqué son frère le prince Harry, qu'on sait extrêmement engagé auprès des blessés de guerre et qui a d'ailleurs déjà effectué deux treks polaires caritatifs (en Arctique et en Antarctique) avec certains d'entre eux, sous l'égide de l'association Walking with the Wounded. "Harry et moi, a déclaré le duc de Cambridge, sommes très tristes d'apprendre la disparition d'Henry Worsley. C'est un homme qui a fait montre d'un grand courage et d'une grande détermination, et nous sommes incroyablement fiers d'être associés à lui. Même après avoir quitté l'Armée, Henry a continué à faire preuve d'un engagement désintéressé envers ses camarades militaires, hommes et femmes, en accomplissant pour eux l'extraordinaire expédition Schackleton Solo. Nous avons perdu un ami, mais il restera une source d'inspiration pour nous tous et en particulier pour ceux qui bénéficieront du soutien de l'Endeavour Fund. Nous allons désormais nous assurer que sa famille reçoive toute l'aide dont elle a besoin en ces moments terriblements difficiles."
Ami des princes, passionnés de foot, David Beckham a lui aussi réagi avec chagrin au décès tragique de l'aventurier au grand coeur, partageant sur sa page Facebook le souvenir de leur rencontre en Antarctique : "Il n'y a pas de mots pour décrire la tristesse d'avoir perdu Henry Worsley, s'est-il ému. J'ai eu la grande chance de rencontrer Henry en allant en Antarctique. Je lui ai demandé si je pouvais utiliser son drapeau de l'Union Jack pour faire une photo, il me l'a gentiment prêté, et j'ai pu ressentir combien il était spécial pour lui. J'ai été tellement honoré qu'il fasse cela pour moi. Cet homme qui a servi notre pays pendant tant d'années, cet homme qui parlait de sa famille avec tant de fierté. Nos pensées vont à la famille d'Henry..."
D'autres aventuriers britanniques, bien connus des téléspectateurs outre-Manche, ont également été choqués d'apprendre cette dramatique nouvelle. "Nous sommes dévastés par sa disparition. C'était l'un des soldats les plus forts et les plus courageux que j'aie connus", a déploré sur Twitter Bear Grylls, suivi par Ben Fogle, évoquant "une source d'inspiration pour tous". Paul Rose, qui a commandé à la base de la British Antarctic Survey pendant 10 ans, s'est pour sa part rappelé la très forte impression qu'Henry Worsley lui avait fait lors de leur rencontre, pourtant brève, à la Royal Geographical Society : "Il était très organisé, très impliqué et dégageait une formidable sensation de puissance. C'était tout sauf une tête brûlée se lançant dans une aventure folle."
Quelques jours avant son départ, le 14 novembre de Berkner Island, Henry Worsley avait été reçu au palais de Kensington, à Londres, par le prince William, qui lui avait adressé ses encouragements en présence de sa famille. Il avait d'ailleurs posé pour quelques photos avec sa femme Joanna, 56 ans, et leurs enfants Alicia, 19 ans, et Max, 21 ans. A la retraite depuis peu, il avait eu l'opportunité de rencontrer également la duchesse de Cambridge lorsqu'il était encore en service.
Le 3 janvier, il atteignait le Pole Sud - avec une dent en moins, qu'il s'était cassée en mordant dans une barre énergétique gelée, mais en bonne condition. Il aurait dû arriver au terme de son trek, à Ross Ice Shelf, mardi 26 janvier. Mais, le mercredi précédent, la situation s'est brutalement dégradée : alors qu'il avait son objectif final en point de mire, il n'avait pu parcourir que 5 kilomètres à peine en autant d'heures, avant de s'effondrer sous sa tente, incapable de quoi que ce soit, pas même de s'alimenter. Son épouse Joanna, qui a confié qu'il avait perdu pas loin de 25 kilos au moment de son hospitalisation, voulait qu'on lui porte secours et une équipe de sauvetage s'était rendue à un point de récupération proche de sa localisation, prête à intervenir - mais uniquement à son signal. Qui est venu trop tard.
Dans son dernier mémo vocal, tandis qu'il attendait les secours, Henry Worsley rêvait à la tasse de thé bien chaud et au morceau de gâteau qu'il languissait de savourer. Sa femme, elle, avait hâte de le serrer dans ses bras et de l'aider à surmonter sa déception. Que la fin de ce voyage est cruelle...