Purepeople : Vous avez récemment expliqué avoir un trouble bipolaire dans un documentaire diffusé sur TF1.
Yves Noël : C'est vrai, mais je trouve dommage que tout ce que j'ai pu dire n'ait pas été repris. Il y a beaucoup de choses très positives dans mon expérience de vie, que je souhaite mettre en avant. Si j'évoque mon trouble bipolaire, c'est aussi parce que beaucoup de gens sont touchés. La Fondation FondaMental, specialisée dans le traitement des troubles bipolaires, évalue le nombre de personnes atteintes entre 1% et 2,5% de la population en France, soit de 650 000 à 1 600 000 personnes. Certains ne sont pas diagnostiqués et sont en grande détresse, alternent des périodes d'euphorie qui peuvent les mettre en danger, et des périodes mélancoliques, qui peuvent se dégrader en épisodes dépressifs majeurs. Le risque de suicide est alors multiplié par 15. Il est donc essentiel que tout le monde soit sensibilisé à ce trouble.
Vous racontiez que ce trouble avait parfois été handicapant, mais parfois positif...
Dans le langage commun on dit souvent "Il ou elle est bipolaire" pour parler de variations d'humeur. C'est parfois vrai, et c'est important de reconnaître quelqu'un qui a besoin d'aide. Mais il faut aussi dire que les personnes qui ont un trouble bipolaire ont quasiment toujours beaucoup de qualités. Ce sont des personnes hyperactives, qui ont une grande capacité de travail, qui sont très créatives, sensibles, capable d'empathie et souvent dotées d'un grand sens de l'humour. On trouve énormément d'artistes, des écrivains, des poètes, des scientifiques, des hommes politiques. Victor Hugo, Baudelaire, Jean-Claude Van Damme, Diam's, Jim Carrey, Kanye West, Britney Spears... On cite plus facilement des américains parce qu'ils font volontiers leur "coming-out". En revanche, en France, on prend moins le risque, parce que professionnellement, ça peut encore, parfois, pénaliser.
Comment cette situation a-t-elle impacté votre parcours ?
J'ai fait mon "coming-out" en 2015 dans le journal de France 3 lors de la première Journée mondiale des troubles bipolaire organisée en France. J'étais alors l'un des trois parrains. J'ai été interviewé et j'ai clairement dit que j'étais atteint de ce trouble. Est-ce que ça m'a impacté professionnellement ? C'est difficile à évaluer. J'ai trouvé important, en tant que personnalité publique, de faire connaître ce trouble, qui produit de très grandes souffrances, notamment chez les jeunes adultes. J'assume cette responsabilité.
Vous avez vécu une quinzaine d'années difficiles, dès la fin des années 1990...
Tout a commencé début 97 alors que je présentais trois émissions sur M6. Hyperactif, je maintenais mon très haut niveau d'énergie en dormant très peu, dans un certain état d'exaltation, sans savoir à l'époque qu'il s'agissait d'hypomanie. On m'a parfois demandé ce que j'avais pris au petit-déjeuner. Cependant, avec le manque de sommeil, on peut perdre la notion du temps, l'impatience et l'irritabilité augmentent, le niveau d'inhibition baisse et les conduites à risques se multiplient. L'épisode hypomaniaque, ou maniaque en fonction de son intensité, se "paie" ensuite par un épisodes dépressif : épuisement physique et moral, retrait social, idées noires, grosses difficultés à se lever de son lit. A l'époque, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait et pourquoi les cycles se répétaient. Il m'a fallu 5 ans pour être diagnostiqué, 17 ans pour me rétablir pleinement.
Un traitement est-il nécessaire au quotidien ?
Ma situation est stabilisée. J'ai un traitement finement réglé, à base de régulateurs d'humeur. Ensuite, j'ai bénéficié d'un accompagnement psychologique, qui peut durer selon les cas pendant des années. Le mien a duré dix ans. Et puis j'ai fait une psycho-éducation dont la grande leçon est : on n'est pas responsable de son trouble mais on est responsable de la façon dont on le gère. Surtout, il est important d'avoir une hygiène de vie impeccable, en particulier respecter son temps de sommeil.
Vous avez deux enfants. Comment leur avez-vous expliqué cette maladie psychique ?
Ma fille a 18 ans et mon petit garçon a 6 ans. Donc je me retrouve à expliquer à nouveau ce qu'il se passe. Maintenant que je suis rétabli, c'est plus facile. Je dis à mon fils que je peux être un peu fatigué, qu'à d'autres moments j'ai beaucoup d'énergie. Je m'excuse si ça peut le secouer un peu. Il sait qu'il peut me dire s'il trouve que je le pousse à faire trop d'activités par exemple. Les enfants sentent très bien dans quel état on est et ils comprennent quels sont nos besoins. Il sait que j'ai une maladie chronique. Son grand jeu, c'est de me donner les comprimés le soir. Il s'amuse à couper les tablettes avec ses ciseaux, il participe.
Quels sont vos projets ?
Je me sens plus en forme qu'il y a vingt ans. Cette expérience m'a beaucoup appris sur moi, sur les autres et sur la vie. Par exemple, je suis plus attentif aux autres, j'apprécie plus les petits cadeaux de la vie. J'étais déjà un homme d'audiovisuel, d'événementiel. J'anime des évènements, des programmes pour des entreprise ou pour le web. Je mène des interviews que je filme, réalise, monte... Je suis également coach professionnel diplômé d'Etat. J'ai capitalisé sur cette expérience de vie. Elle m'a obligé à me réinventer et me sert aujourd'hui à accompagner mes clients dans leur transition professionnelle.
Propos recueillis par Yohann Turi. Toute reproduction interdite sans la mention de Purepeople.com.