Deux ans après avoir été sur le terrain, en Afghanistan, dans le plus grand secret, voilà que le prince Harry, qui effectuait le mois dernier, à 26 ans, son premier vol en solo aux manettes d'un hélicoptère Apache, a de nouveau maille à partir avec les Talibans. Réalité et fiction se croisent en effet dans un docu-fiction britannique mettant en scène l'enlèvement et la séquestration du second fils du prince Charles, dont le rôle à l'écran est tenu par un acteur, Sebastien Reid. Se croisent et se télescopent. Car cette projection dans le registre "and what if... ?" suscite un véritable tollé outre-Manche...
L'idée de départ de ce téléfilm intitulé L'Enlèvement du prince Harry, commandé par Channel 4, est pourtant loin d'être insensée, puisque ce sont les circonstances du retrait du prince Harry de la campagne afghane à laquelle il participa secrètement en 2008 dans la province d'Helmand qui dictent l'hypothèse d'une situation qui eut pu être tragique : le frère cadet du prince William avait dû rentrer au pays précipitamment après que la nouvelle de sa présence sur le sol afghan eut été ébruitée par un site américain. Dépêché sur place à la veille de Noël, il y officiait en tant que contrôleur aérien avancé, guidant les avions chargés de bombarder les cibles talibanes. Sa sécurité étant sérieusement compromise suite à la fuite, la chaîne de commandement décida alors promptement de le rapatrier, et Harry, qui avait de peu manqué l'année précédente de combattre en Irak pour des raisons similaires, fit son retour en Grande-Bretagne le 1er mars 2008, après dix semaines au combat, au front véritablement, avec "ses gars".
Dans le téléfilm de 90 minutes, dont la diffusion est prévue le 21 octobre par la chaîne (cliquez ici pour en découvrir quelques images), certains épisodes émeuvent déjà l'opinion : notamment cette scène où le prince Harry (joué par Reid), forcé de lire un communiqué de ses ravisseurs, a une arme non chargée braquée sur la tempe et où son tortionnaire presse la détente. La mise en scène de sa captivité et de sa séquestration tandis qu'on s'affaire sur le terrain diplomatique à obtenir sa libération a été jugée "de très mauvais goût" par un membre du ministère de la Défense. Sentiment unanimement partagé. Au sein de l'état-major, on se montre soucieux des répercussions que ce scénario pourrait avoir sur la motivation et l'inspiration des terroristes. On s'inquiète également de la manière dont le "docu-drame" décrit la manière particulière - différente des autres nations - dont la Grande-Bretagne négocie avec les terroristes dans un tel cas de figure.
Face à ce tollé anticipé, Channel 4 précise avoir informé Buckhingham Palace de la diffusion prochaine de cette réalisation, et dit n'avoir pas eu de retour. Ce n'est pas la première fois que la chaîne bouscule l'autorité : un documentaire, proposé en 2007 malgré les réticences des princes William et Harry, utilisait par exemple des photographies de Lady Di morte ; en 2008, c'est un docu-fiction sur "l'assassinat" imaginé de George Bush Sr qui suscitait la controverse. A propos de L'Enlèvement du prince Harry et des craintes de la Défense, Channel 4, qui a reçu pour cette réalisation les contributions d'anciens otages et d'experts des services de renseignements, signale que le risque existait avant le documentaire et que toute visite d'Harry en Afghanistan ferait de lui une cible privilégiée. "Dans le film, nous utilisons d'ailleurs le surnom qui lui avait été donné là-bas, "Bullet Magnet" (l'aimant à balles), et nous savons par ailleurs que de nombreux rapports et documents jihadistes font de lui leur cible numéro un", remarque un porte-parole de la chaîne. Et d'insister sur l'indéniable actualité du propos, alors que la présence du contingent britannique en Afghanistan est plus que jamais en question...
Des problématiques épineuses auxquelles le prince William, qui vient d'effectuer avec succès sa première mission en tant que pilote secouriste, ne devrait pas risquer de prêter le flanc...
Guillaume Joffroy