Le brouhaha médiatique autour de l'annulation du visa d'exploitation de La Vie d'Adèle et l'hypothétique censure qu'il faut y voir aura au moins fait un heureux (ou presque) : Abdellatif Kechiche. Le réalisateur de la Palme d'or 2013 en a gros sur la patate et il a des choses à dire.
Dans une interview-confession accordée à Nice Matin, le cinéaste franco-tunisien se lâche sans langue de bois. Réagissant bien sûr à l'interdiction dont son film fait l'objet, une décision "plutôt saine" selon lui, le controversé metteur en scène pousse le débat plus loin et dénonce à tout-va. L'intéressé avoue par exemple ne pas se sentir "censuré par les responsables d'une association catholique" à qui il donne même raison et s'excuse en prétextant n'avoir "jamais voulu froisser aucune religion". "On n'attente pas à ma liberté d'expression", assure même Abdellatif Kechiche.
Visiblement agacé - il dit même "étouffer" dans le contexte actuel -, Abdellatif Kechiche règle ses comptes, fusil à l'épaule. Dans son viseur notamment, le distributeur Wild Bunch et une banquière lui qui demande de rembourser des dettes qu'il ignore. Ulcéré, Kechiche a donc "décidé de porter plainte pour association de malfaiteurs et entrave à la liberté de travailler". Car là, il y a bien entrave, selon le réalisateur. Il revient notamment sur les nombreux scandales essuyés par La Vie d'Adèle et auxquels Abdellatif ne s'attendait pas. "On avait une autoroute pour créer un sentiment de paix et d'harmonie. Et tout à coup, on m'a craché dessus", se souvient-il. Le cinéaste, à qui l'on doit également L'Esquive et Vénus noire, parle de "haine" au point "d'avoir reçu des lettres [lui] souhaitant un cancer généralisé" ou de faire l'objet "de menaces de mort en Tunisie".
Il en vient alors à lâcher : "La Vie d'Adèle, si j'avais le choix, aujourd'hui, je ne le referais pas". Autant d'aveux fracassants qui ont été alimentés pendant de longs mois par une multitude de détails plaçant Abdellatif Kechiche dans une situation invivable, où il n'était presque plus question d'art. "Que je ne fasse pas de films serait une victoire pour beaucoup de gens", assure celui dont on pensait que la Palme d'or allait booster la carrière.
Au cours de l'interview, le cinéaste évoque même un projet au long cours qui catalyse toute sa colère. Un film, intitulé Ineffable Amour, que Kechiche tente de monter "depuis trois ans" et dont l'intrigue se déroule au Moyen-Age et qui est un portrait de Marguerite Porete (et non l'histoire d'amour interdite entre Héloïse et Abélard, comme cela avait été dit), une écrivain dont le célèbre roman Le Miroir des âmes simples s'interrogeait sur l'Amour divin et fut systématiquement réduit au silence de la part d'une Église la considérant comme une hérétique (Porete fut brûlée en 1310). Depuis qu'il a déposé le scénario, Kechiche dit ne rencontrer que des obstacles et met des noms sur ses opposants. "Le Centre national du cinéma, le ministère de la Culture, l'Académie des César, Orange et les banques. Ce sont eux qui me censurent", croit savoir Abdellatif Kechiche, qui dénonce "un racisme pernicieux" au sein de "l'intelligentsia de gauche" et pointe du doigt "beaucoup d'impostures dans le milieu du cinéma".
Évoquant "des petits coups fourbes" pour lui mettre des bâtons dans les roues, Abdellatif Kechiche croit savoir que tout est fait pour l'empêcher de faire ce film, "notamment par Wild Bunch" qui semble clairement être l'épine dans le pied d'un réalisateur lessivé, mais qui n'abandonnera pas. Affaire à suivre...
Christopher Ramoné