C'est certain, Abdellatif Kechiche aurait préféré que l'on dise de son film La Vie d'Adèle qu'il vient de bouleverser l'Amérique (Telluride, Toronto) ou que les critiques viennent de le sacrer film de l'année (Prix FIPRESCI). Mais la dure loi médiatique en a décidé autrement. Depuis Cannes et sa Palme d'or, la promotion de La Vie d'Adèle est entachée par des polémiques et des scandales, de la grogne des techniciens au calvaire des deux actrices principales, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos. Pour le réalisateur franco-tunisien, c'en est trop. C'est ce qu'il explique dans Télérama.
Kechiche "humilié, déshonoré"
"Ce film ne devrait pas sortir, il a été trop sali", lâche Abdellatif Kechiche. Ainsi, "la Palme d'or n'a été qu'un bref instant de bonheur ; ensuite je me suis senti humilié, déshonoré, j'ai senti un rejet de ma personne, que je vis comme une malédiction". Envers et contre tous. Mais les mots employés dans Télérama sont trop lourds pour lui, il se sent habité par la tristesse mêlée à l'incompréhension et à une forme évidente de colère.
"Moi, je n'irais pas voir le film du cinéaste sadique et tyrannique dont on fait le portrait aujourd'hui", s'exclame le cinéaste lorsqu'on le questionne sur la polémique. Une seule coupable pour lui : Léa Seydoux, qui "vole la vedette au film ainsi qu'à Adèle Exarchopoulos", et qui, par ailleurs, ne semble pas "mesurer les conséquences désastreuses de ses propos, qui vont empêcher les spectateurs d'entrer dans la salle avec un coeur vierge et un regard bienveillant".
Léa Seydoux, "actrice ou artiste de gala" ?
Abdellatif Kechiche n'emprunte aucun chemin de traverse pour exprimer son désarroi, assurant que "ces déclarations, c'est pire que de cracher dans la soupe, c'est un manque de respect pour un métier [qu'il] considère comme sacré". En écho aux propos de la blonde, Abdel (comme l'appelle Adèle Exarchopoulos) continue de dézinguer : "Quand j'ai lu ce qu'elle disait, je n'ai compris. Si elle a vraiment vécu ce qu'elle raconte, pourquoi être venue à Cannes pleurer, remercier, monter les marches, passer des journées à essayer robes et bijoux ? Quel métier fait-elle, actrice ou artiste de gala ?"
Face aux propos des deux actrices, Abdellatif Kechiche n'en démord pas : "Si méthode il y a, elle passe par la tendresse que je porte aux comédiens qui travaillent pour moi. Je n'ai pas le sentiment d'exercer un pouvoir sur eux." On est loin du "traquenard" évoqué par Léa Seydoux. Pire, Kechiche se dit "prisonnier des acteurs" qu'il a choisis. À nouveau visée, Léa Seydoux qui "disait avoir du mal à jouer de façon naturelle", lorsqu'elle s'est présentée au réalisateur. Elle montrera pourtant son envie de tourner, malgré "les doutes" d'Abdellatif Kechiche, qui préférait y voir "le défi de prendre une jeune fille qui aspire à devenir une star".
Dans son jeu, Léa Seydoux a demandé bien plus d'attention que le réalisateur ne l'avait prévu. Ce qui "a pas mal perturbé ma relation avec Adèle. Mais j'aurais préféré ne jamais en parler", lâche-t-il. Et toujours à propos de son actrice aux cheveux bleus : "Quand Léa Seydoux se trouvait bonne, je pouvais ne pas être d'accord avec elle !"
Sara Forestier ou Mélanie Thierry
"Je lui ai proposé plusieurs fois d'en rester là", avoue alors Abdellatif Kechiche. "Dont une après vingt jours de tournage. Mais elle tenait à continuer." Battante, mais pas si désirée. "Moi j'étais prêt à appeler Sara Forestier", poursuit le cinéaste, qui avait même des vues sur "Mélanie Thierry, une actrice accomplie". Il n'en sera rien.
À deux semaines de la sortie en France, on s'explique et on gomme les vilaines traces. Pendant qu'Abdellatif Kechiche s'explique, Adèle Exarchopoulos modère : "On a tout amalgamé. Le vécu des techniciens était très différent du nôtre. Eux ont soulevé des questions de droit du travail. Nous, c'était plus émotionnel", tempère l'actrice dans les colonnes des Inrocks dont elle fait la couverture. "Mais faut arrêter, Abdel ne nous a ni frappées ni torturées, il nous a juste demandé de tout donner", assure-t-elle.
Bafouer le droit du travail
Quant aux techniciens, Abdellatif Kechiche – qui n'a pas eu un mot pour eux à Cannes – a livré sa version des faits. "Aucun n'est venu me voir pendant le tournage pour me dire : 'tu as bafoué le droit du travail'", confie-t-il à Télérama. Pour expliquer le rythme soutenu du tournage, il évoque cette "forme d'hypnose collective" habitant le passionné qu'il est depuis ses expériences sur les planches.
Fatigué et touché au plus profond de lui, le cinéaste maudit n'a pour l'heure "plus envie de cinéma" (ce qui n'est pas sans rappeler l'après-Vénus Noire). Il n'a pas retouché le film depuis Cannes – si ce n'est qu'il y a maintenant un générique – mais proposera peut-être dans le futur "une autre version du film" qu'il a réalisée à partir des 700 et quelques heures de rush sur cinq mois de tournage. Quant à la Tunisie, il ne souhaite pas que son long métrage y sorte. "Je ne tiens pas à ce que mon film provoque du désordre ou de la haine", lance le cinéaste, comme un écho.
Interview à retrouver en intégralité dans le Télérama du 28 septembre. "La Vie d'Adèle", en salles le 9 octobre.