Aujourd'hui sort sur tous nos écrans le magnifique et bouleversant Vénus Noire (voir la bande-annonce), le nouveau chef-d'oeuvre d'Abdellatif Kechiche, réalisateur de L'esquive (César des meilleurs film et réalisateur en 2005) et de La graine et le mulet (César des meilleurs film et réalisateur en 2008).
L'histoire ? Paris, 1817, enceinte de l'Académie Royale de Médecine. "Je n'ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes". Face au moulage du corps de Saartjie Baartman, l'anatomiste Georges Cuvier est catégorique. Un parterre de distingués collègues applaudit la démonstration. Sept ans plus tôt, Saartjie, quittait l'Afrique du Sud avec son maître, Caezar, et livrait son corps en pâture au public londonien des foires aux monstres. Femme libre et entravée, elle était l'icône des bas-fonds, la "Vénus Hottentote" promise au mirage d'une ascension dorée...
Le très brillant cinéaste français d'origine tunisienne, qui fêtera ses 50 ans à la fin de l'année, est revenu longuement sur son parcours dans les pages de L'Express, actuellement en kiosques. De son arrivée en France à l'âge de 5 ans, de sa souffrance quant au racisme lorsqu'il était adolescent, de ses débuts difficiles en tant que comédien à son éventuelle reconversion en fromager s'il n'avait pas réussi à percer dans le septième art, en passant par les conflits qui l'ont souvent opposé à ses producteurs, Abdellatif Kechiche a l'habitude de donner son opinion sans langue de bois, comme une sorte de poil à gratter intellectuel du cinéma français.
Concernant ce nouveau long métrage bouleversant, il confie : "J'ai d'abord voulu aborder cette histoire sous l'angle de la reconstitution. Je pose les éléments d'une enquête. Saartjie Baartman a passé cinq ans à s'exhiber dans une cage dix heures par jour. Elle était alcoolique. Elle en souffrait. Je m'en suis tenu aux éléments factuels connus par respect pour elle. Je ne voulais pas d'un film romanesque pour faire pleurer dans les chaumières. Il n'y avait pas non plus une volonté d'accuser ou de dénoncer. Mais il y avait des questions. Pourquoi cette femme a-t-elle décidé de souffrir autant ? Comment un homme a-t-il pu la disséquer après sa mort contre sa volonté ? Comment arriver à une telle barbarie ?"
Ces questions, le cinéaste français y répond à travers son film, véritable chef-d'oeuvre qui pourrait tout à fait lui faire réaliser un triplé inédit en remportant en février prochain les César des meilleurs film et réalisateur, et au vu de la production des douze mois écoulés, ce ne serait que rendre justice à ce film poignant et ô combien abouti.
Avec un casting d'acteurs méconnus mais fantastiques, Yahima Torres en tête, Vénus Noire est une claque cinématographique comme on n'en avait pas connue dans le cinéma français depuis des lustres. Un film utile, important, immense, à découvrir de toute urgence.
Pour vous familiariser un peu plus avec son univers, Purepeople.com vous propose ci-dessus les interviews de Yahima Torres (bouleversante Saartjie), Olivier Gourmet (vu dans Mesrine) et André Jacobs.
Mais laissons les derniers mots au réalisateur, quand il évoque son style dans les pages de L'Express : "Vous allez encore dire que je suis parano, mais je dérange beaucoup de gens chez les décideurs, qui disent, par exemple, à propos de La graine et le mulet : "Personne ne veut de bougnoules qui mangent du couscous à une heure de grande écoute sur la télé publique !" Il faut donc des films lisses. Et ça je ne sais pas faire..."
Non, en regardant Vénus Noire, on se rend compte qu'il ne sait vraiment pas faire. Et c'est ce qui le rend si singulier et fascinant.
Adam Ikx