Le 17 mai 2000, le Festival de Cannes découvre enfin Dancer in the Dark de Lars von Trier avec Catherine Deneuve et Jean-Marc Barr. Les rumeurs vont bon train, on dit le réalisateur danois fâché avec sa star, la chanteuse Björk, après un tournage houleux. Le film triomphe néanmoins et le jury présidé par Luc Besson lui accorde la Palme d'or et offre à l'Islandaise un mérité prix d'interprétation féminine. Sur scène, elle lance deux fois un rugueux "Je suis très reconnaissante", avant de disparaître. Elle promettra plus tard de ne plus jamais faire de cinéma...
Alors que l'affaire Harvey Weinstein pourrait bien changer le visage d'Hollywood, brisant enfin l'omerta qui entoure les abus sexuels dont sont victimes les actrices et acteurs, Björk fait enfin toute la lumière sur son expérience avec Lars von Trier dans un post Facebook. Elle ne le cite pas, mais Dancer in the Dark est son unique film avec "un réalisateur danois" : "Inspirée par toutes ces femmes qui parlent, je peux vous raconter mon expérience avec un réalisateur danois. Parce que je viens d'un pays qui est l'un des endroits où l'on se rapproche le plus de l'égalité entre les hommes et les femmes, parce que dans le monde de la musique j'ai gagné force et indépendance grâce à mon travail acharné, il est devenu très clair en faisant l'actrice que les humiliations et, dans une moindre mesure, le harcèlement sexuel étaient la norme et avaient lieu dans un environnement dans lequel le réalisateur et une équipe de douzaines de personnes les provoquaient et les encourageaient. J'ai compris qu'un réalisateur avait tous les droits, comme celui de toucher ou de harceler ses actrices et que l'institution du cinéma l'y autorisait."
Après ce triste constat, Björk raconte la perversité de sa collaboration avec Lars von Trier : "Après que j'ai refusé ses avances à plusieurs reprises, il a boudé, il m'a punie et a créé pour l'équipe cette incroyable illusion dans laquelle j'étais, moi, la personne difficile."
La star de 51 ans estime cependant avoir assez tenu tête au réalisateur pour changer son comportement avec ses actrices : "En raison de ma force, de ma super équipe et parce que je n'avais rien à perdre, n'ayant aucune ambition en tant qu'actrice, j'ai pu partir. Me remettre de cette expérience a pris des années. Je suis inquiète que d'autres actrices qui ont travaillé avec le même homme n'aient pas eu cette chance. Le réalisateur savait très bien à quoi il jouait et je suis sûre que son film suivant [Dogville, en 2003 avec Nicole Kidman, ndlr] est inspiré par son expérience avec moi. Parce que j'étais la première à lui tenir tête et à ne pas le laisser s'en sortir comme ça. Et, selon moi, il a eu des expériences plus équitables et significatives avec ses actrices après notre confrontation. Il y a donc de l'espoir."
Après avoir publié en 2015 l'album Vulnicura, qui détaillait dans des détails crus et bouleversants sa rupture avec le plasticien Matthew Barney, père de sa fille Isadora, Björk s'apprête à publier Utopia, son dixième album solo porté par un single stupéfiant, The Gate. Depuis Dancer in the Dark, Lars von Trier a beaucoup tourné avec Charlotte Gainsbourg (Melancholia, la fresque érotique Nymphomaniac, et un Prix d'interprétation à Cannes pour Antichrist). Le Danois est attendu avec The House That Jack Built, douze ans dans la vie d'un serial killer, avec Matt Dillon et Uma Thurman.