Après plus de trois ans de "fermeture" au terme de 450 représentations et 350 000 visiteurs aux Folies Bergère, le Kit Kat Club a rouvert ses portes sur la scène du théâtre Marigny, jeudi 6 octobre 2011. L'occasion pour les people, venus en très grand nombre découvrir la reprise à Paris de la mise en scène signée Sam Mendes/Rob Marshall, auréolée de quatre Tony Awards sur Broadway et de sept nominations aux Molières en France, de faire connaissance avec le nouveau maître de cérémonie : Emmanuel Moire. Et de s'abandonner à la dépravation salutaire des lieux en retrouvant les tigresses du Kit Kat Club, à l'image (parmi toutes les remarquables chanteuses-danseuses-instrumentistes) d'une Delphine Grandsart (dernièrement vue dans Mozart l'opéra rock) ravageusement bancale en Fraulein Kost - Fritzie - ou d'une Vanessa Cailhol (Le Prince et le Pauvre, Mamma Mia) ultra-féline et hypnotique, autour de l'indiscernable et poignante chanteuse Sally Bowles campée - avec quelle flamme ! - par Claire Pérot.
Si Emmanuel Moire ne nous a pas caché, lors des répétitions, le plaisir qu'il avait à réinventer le rôle culte de Emcee précédemment tenu par Fabian Richard dans cette mise en scène (qu'assurent aujourd'hui le Français Frédéric Baptiste et l'Américain BT McNicholl), évoquant une véritable libération personnelle et artistique "super jouissive", cela s'est vérifié sur scène, en costume. Chargé d'accueillir les nouveaux prétendants à la débauche et à l'oubli, son Willkommen l'a installé avec aisance et ce qu'il faut de provocation libidineuse comme un nouveau maître des lieux digne d'être suivi. Et bien que l'attention ait d'abord été focalisée sur la performance du petit nouveau de la troupe, qui a mis de côté ses velléités d'album ou de Danse avec les Stars pour devenir tout entier ce Emcee 2011 très cul...otté, l'attrait de la nouveauté a vite été submergé par le goût des retrouvailles : avec Claire Pérot, flamboyante et habitée à l'extrême, avec Catherine Arditi (Fraulein Schneider, personnage clé du roman de Christophe Isherwood dont a été adapté Cabaret par Fred Ebb et John Kander, Adieu à Berlin. Fraulein Schneider y incarnait, forçant le respect, toute la grandeur et la décadence de l'Allemagne, avant et après-guerre) et Pierre Reggiani (Herr Schultz), couple d'une poésie et d'une mièvrerie délicieuses qui se sont bonifiées depuis 2008, avec Geoffrey Guerrier, qui prête son profond regard azur à Clifford Bradshaw, intellectuel anglo-saxon (projection du romancier Isherwood) au charisme éclatant et en quête d'inspiration, que l'on suit dans le Berlin secret aux moeurs libérées d'avant-guerre...
Mais, surtout, retrouvailles avec ce propos fou, quasi-cathartique, qui est le coeur même de Cabaret : se perdre soi-même pour abolir le monde autour, jouir de cette ultime enclave de liberté, s'enivrer d'oubli. Lors d'une première présentation à la presse, Pierre Lescure, propriétaire du théâtre Marigny heureux d'accueillir le retour de Cabaret, ne manquait pas de souligner avec beaucoup d'esprit que le musical Cabaret, créé initialement en 1966 d'après le roman de 1939, est plus contemporain que jamais : à la toile de fond de la montée du nazisme, qui déchirait le monde autour de la boîte fictive du Kit Kat Club, succède aujourd'hui un contexte pas loin d'être aussi oppressant, qu'il s'agisse de montée des extrémismes, de conflits sociaux, de destruction environnementale... Aujourd'hui encore, on a plus que jamais besoin que le divertissement ait ses lettres de noblesse ; Cabaret honore cet impératif avec panache et sans tabous.
Car, à bien y regarder, la décadence est-elle à l'intérieur du Kit Kat Club, ou plutôt au dehors ?
Cabaret, le musical, au théâtre Marigny à Paris à partir du 6 octobre 2011, et en tournée dans toute la France dès janvier 2012. Meine Damen und Herren, willkommen.
Guillaume Joffroy