Le 26 mai, Bérénice Bejo reçoit le prix d'interprétation féminine pour Le Passé d'Asghar Farhadi dans lequel jouent également Ali Mosaffa et Tahar Rahim. Le réalisateur iranien avait précédemment conquis le monde entier avec Une séparation, Ours d'or à Berlin, prix d'interprétation collectif, César et Oscar du meilleur film en langue étrangère. Si la presse, de manière générale, s'est révélée moins séduite par Le Passé que par Une séparation, elle s'est accordée sur la performance de la comédienne principale.
L'histoire d'un rôle
Bérénice Bejo était en concurrence avec une foule de comédiennes talentueuses pour ce prix d'interprétation, et notamment plusieurs Françaises. Les actrices de La Vie d'Adèle, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos - révélation de ce Cannes 2013 - étaient pressenties, tout comme l'éternelle Marion Cotillard dans The Immigrant. Ironiquement, Bérénice Bejo avait d'ailleurs remplacé au pied levé la Môme dans Le Passé, et là voilà sous le feu des projecteurs grâce à ce rôle, celui d'une femme qui doit affronter son passé pour avancer.
Elle est Marie, qui retrouve après quatre années de séparation son mari Ahmad. Il arrive à Paris depuis Téhéran, à la demande de Marie, pour procéder aux formalités de leur divorce. Lors de son bref séjour, Ahmad découvre la relation conflictuelle que Marie entretient avec sa fille, Lucie. Les efforts d'Ahmad pour tenter d'améliorer cette relation lèveront le voile sur un secret du passé.
"La première fois que j'ai vu Bérénice, c'était pendant un voyage aux Etats-Unis, raconte Asghar Farhadi à propos de la genèse de son film. Elle était là pour la promotion de The Artist et elle m'a donné immédiatement l'impression d'être une personne chaleureuse et vraie. Elle faisait partie de ces personnes avec qui il est facile d'établir tout de suite une relation, un échange. Son interprétation dans The Artist m'a persuadé de l'intelligence de son jeu. Ce sont deux dimensions absolument nécessaires pour que j'aie envie de travailler avec un acteur : il faut d'abord qu'il soit quelqu'un de fin et d'intelligent, et ensuite qu'il dégage à l'écran une énergie positive. Une personne attachante, avec qui le spectateur a envie de passer du temps".
Après la surprise, la réaction
Lorsque Steven Spielberg prononce le nom de la lauréate du prix d'interprétation, Bérénice Bejo n'en croit pas ses oreille. A ses côtés, l'équipe du film, le réalisateur Asghar Farhadi mais aussi un autre homme, le sien. Son compagnon Michel Hazanavicius était là pour la soutenir jusqu'au bout, lui qui l'avait sublimée dans The Artist présenté au Festival en 2011. Cette année-là, Jean Dujardin remporte une récompense et elle assiste, heureuse, au sacre de l'acteur, qui se poursuivra jusqu'aux Oscars. Difficile de ne pas la voir dans l'ombre de son partenaire, même si elle décrochera le César et qu'il n'en aura pas, s'inclinant face à l'Intouchable Omar Sy. Après avoir été maîtresse de cérémonie à Cannes un an plus tard, la belle Bejo revient plus qu'au premier plan, obtenant le prix rêvé sous les applaudissements de toute la salle.
Mais n'attendez pas de Bérénice Bejo qu'elle parle de revanche par rapport à The Artist. Un prix, c'est d'abord pour un film : "C'est particulier d'avoir un prix d'interprétation... parce que c'est pour moi. Je n'arrive pas à imaginer ce prix pour moi. Je ne suis rien s'il n'y a pas en face des acteurs, un chef opérateur, des techniciens, un réalisateur... Du coup, ça réduit un film à ma seule personne", déclarait-elle lors de la conférence de presse post-récompense.
Réagissant à chaud au micro de Canal+, Bérénice Bejo explique que si elle s'attendait à ce que le film Le Passé remporte un trophée, elle n'espérait pas le prix d'interprétation. D'où l'émotion qu'elle n'est pas parvenue à masquer. Sur France Info, elle suppose que c'est par son universalité que le long-métrage et son personnage ont pu toucher les spectateurs. Quelque soit le pays ou la culture, il est facile de créer une connexion avec cette histoire.
Bérénice, au passé, au présent et au futur
Quel beau parcours accompli pour la jeune femme de 36 ans originaire d'Argentine. Son père est réalisateur, sa mère avocate. Le bonheur de la famille prend fin quand ils doivent quitter le pays, Bérénice n'a que 3 ans. Dans L'Express Styles, elle revenait sur la douleur du départ : "J'exècre les régimes dictatoriaux. Ma famille a quitté l'Argentine en 1980, quand la junte militaire a pris le pouvoir. Nous avons dû nous cacher pendant quelque temps. Je n'en ai pas le souvenir. Mais je sais que pour reconstruire leur vie en France, mes parents ont dû abandonner leurs rêves, changer de métier. [...] Et je peux encore voir la rage, la tristesse dans leurs yeux." En grandissant, l'appel de la comédie se fait pressant, elle prendra des cours de théâtre. La suite, on la connaît, avec Meilleur Espoir féminin qui lui permettra d'obtenir un César du même nom en 2000. Ensuite, OSS 117 - Le Caire, nid d'espion réalisé en 2006 par celui qui deviendra le père de ses deux enfants – Lucien (né en 2008) et Gloria (bientôt 2 ans) – et qui fera d'elle une héroïne muette dans The Artist.
Et pour la suite ? La comédienne va d'abord savourer son succès avec ses proches. Puis elle reviendra sur les écrans cet automne dans l'adaptation du roman de Pennac, Au bonheur des ogres et dans le thriller Le Dernier Diamant avec Yvan Attal. Elle retravaillera aussi avec Michel Hazanavicius pour The Search, un remake très librement inspiré des Anges marqués de Fred Zinnemann (1948). C'est un film de guerre qui se déroule au moment où les Russes ont attaqué la Tchétchénie. Et elle rêve de pouvoir tourner de nouveau avec Asghar Farhadi.
"Le Passé", en salles depuis le 17 mai