Sur le seuil du Memphis, club parisien mythique du 10e arrondissement, Nicolas Bedos répond aux premières questions de Purepeople pour la sortie de son long métrage M. & Mme Adelman en attendant que sa complice Doria Tillier arrive. Ces deux-là ont signé un film d'amour retraçant quarante années de la vie (tumultueuse) d'un couple qu'ils interprètent à l'écran. Un défi fou, un tournage épique, un résultat romanesque, drôle et grinçant à la fois. On les savait doués, on les connaissait irrévérencieux, on les découvre irrésistibles. Rencontre.
"On découvre parfois des choses en voyant le film. Un ami m'a dit qu'il voyait l'intensité de la vie, c'est le message qu'il recevait après avoir vu le film. Mais il y a aussi une part d'inconscient. Il est certain que d'avoir choisi deux personnages créatifs, qui se mettent en scène, en abîme, a dû favoriser cette inventivité et cette liberté. D'autre part, ni Doria ni moi n'avons un goût prononcé pour le politiquement correct."
Nicolas Bedos : "J'ai envie de réaliser un film depuis que j'ai 21 ans. J'avais commencé un projet à 23 ans qui est tombé à l'eau. J'ai réfréné mon envie de proposer quelque chose au cinéma et je suis, ces dernières années, apparu dans des films qui ne me ressemblaient pas, que je ne renie pas mais qui étaient pour certains en réalité faits dans la contrainte. J'ai profité allègrement de ce premier film pour surtout ne pas me contraindre. Je trépignais de proposer au public un film dont j'espère qu'il ne les décevra pas. Or, ça n'a pas toujours été le cas des projets auxquels j'ai participé."
"Ce qui nous a surpris, Doria et moi, c'est le nombre de rires. On savait qu'il y avait des scènes de comédie, mais on a été surpris par la part de comédie qui a été reçue ce soir-là et, depuis, ça n'a jamais cessé. Quand le film est montré, les spectateurs s'en emparent et il y a des endroits où cela nous a surpris. On ne savait pas que les gens adhéreraient autant à cet humour. Un humour bizarre parfois, étrange, un peu singulier, parfois noir, tendre, rose et noir. On ne savait pas que les gens riraient autant et ça nous a énormément galvanisés", explique Nicolas Bedos qui souligne également "l'émotion des proches, de l'équipe" lors de cette séance de décembre durant laquelle il a reçu les applaudissements fiers de son papa, Guy Bedos. Quand on lui demande d'ailleurs s'il a songé à faire tourner sa soeur Victoria, également comédienne, et son père, il répond tout simplement : "Non, ça ne m'a pas traversé l'esprit pour ce projet-là."
Under pressure
"C'est un film qui a demandé beaucoup d'abnégation, d'efforts et de pénibilité. Tout le monde le savait car c'était dans le contrat, on devait tourner beaucoup d'heures supplémentaires. Ma grande peur, c'était que l'équipe ait le sentiment le soir de la projection d'avoir trimé pour moins que ce qu'elle espérait. Or, elle a aimé le film, très fort. Ça a été un cadeau, car j'ai été très dur pendant le tournage, très exigeant. Je n'ai pas laissé beaucoup d'espace et de liberté à certains postes et j'avais peur qu'ils me donnent tort", confie le réalisateur, scénariste, dialoguiste, acteur et co-compositeur de la musique.
À chaque entretien, Doria Tillier et Nicolas Bedos restent flous sur leur relation. Sans rien nier, sans s'attarder non plus. Qu'ils vivent ensemble sous le même toit, qu'ils s'adorent ou s'insupportent, qu'importe : leur tandem fonctionne à merveille. Mais n'est-il pas difficile de tourner ensemble quand on se connaît si bien ? Doria Tillier se lance dans une réponse validée ensuite par son complice : "J'ai toujours peur de décevoir. Mais dans notre cas, le problème est qu'on sent la déception immédiatement. Quand on connaît bien quelqu'un, on voit tout de suite quand il est déçu, ou quand il fait semblant de ne pas l'être pour encourager. C'est ça qui est déstabilisant. C'est horrible de savoir ce que pense tout le temps l'autre de son travail. L'avantage, c'est que la compréhension est rapide. Ça me plaisait d'être dirigée par quelqu'un dont les partis pris me plaisaient. Je pense que ça aurait été dur pour moi de tourner des scènes avec quelqu'un et de me rendre compte que ce qu'il fait ne me plaît pas. Ça n'a jamais été le cas. Mais le côté livre ouvert, connaître les sentiments de l'autre, ça peut être difficile."
La révélation Doria Tillier
Pour son premier rôle dans un long métrage, l'ancienne Miss Météo de Canal+ ne fait pas dans la demi-mesure en incarnant sur quatre décennies la femme du couple Adelman. Comment s'est-elle préparée pour s'imposer à l'écran : "J'ai fait tout ce que je pouvais pour me préparer au mieux. Je me suis réinscrite au cours de théâtre où j'allais avant pour avoir un emploi du temps bien cadré. J'ai pris un coach privé avec qui on a fait un travail vraiment passionnant, que je referais avec plaisir. C'est un peu comme une psychanalyse du personnage, ça m'a énormément aidée pour appréhender cette femme de l'intérieur. J'ai fait du sport, pour la première fois de ma vie. Et puis, avec Nicolas, on parlait beaucoup."
"On a fait des répétitions, on a profité du fait de se fréquenter pour répéter souvent. Je pense que, l'un comme l'autre, on a essayé de chasser les angoisses à coups de travail. Moi, dans la préparation du film, dans le prédécoupage", raconte Nicolas Bedos. Doria Tillier enchaîne : "Pendant le tournage, le scénario n'a pas beaucoup bougé. Au début, c'était beaucoup mes mains et le cerveau de Nicolas. La grande majorité des idées sont celles de Nicolas, les dialogues sont les siens." Mais aucun des deux ne tire la couverture à lui : "Doria a accompagné, nourri et orienté mon travail d'écriture qui s'est fait avec elle, sous ses yeux. Je poursuivais mon fil devant elle, elle validait et nourrissait ou modifiait mon récit dans lequel elle ajoutait ses idées. Au final, on ne peut absolument pas savoir qui a fait quoi."
Monsieur et Madame Adelman, en salles le 8 mars 2017