"Ce projet doit être solide car Eric n'est pas du genre à se disperser. C'est un homme extrêmement rigoureux derrière sa poésie surréaliste." Si l'annonce du retour du King Eric Cantona au football, en tant qu'architecte-directeur sportif du New York Cosmos, a suscité pas mal de perplexité, Pierre Lescure, qui accueillait Canto dans son théâtre (Marigny, sur les Champs-Elysées) en 2010 pour Face au paradis que l'ancien footballeur donnait dans une mise en scène de sa femme Rachida Brakni, subodore, passée la circonspection, quelque chose de colossal, comme il l'a laissé entendre au JDD (édition du 6 mars).
De toute façon, l'ancien PDG n'ignore pas, tout comme le grand public, que quand Canto fait quelque chose, cela se remarque. Dans sa carrière de footballeur, le mythique numéro 7 des Red Devils de Manchester United a laissé une empreinte indélébile, celle du roi de tout un peuple de supporteurs qui l'ont élu Joueur du siècle en 2001, celle, aussi, d'un homme au tempérament unique et indomptable, capable d'expédier un high kick à la face d'un supporteur insultant de Crystal Palace - une manière directe de faire comprendre que ces gens-là n'ont pas leur place dans les stades.
Depuis sa retraite sportive au sommet de son art en 1997, le King s'est appliqué à marquer le monde de la comédie. Et il y est parvenu, fort d'un CV artistique riche de 19 films (notamment dirigé par Jean Becker, Alain Corneau ou Ken Loach) ; prochainement, on le verra face à Isabelle Adjani dans De Force, de Frank Henry, et dans Les Mouvements du bassin, un film signé de l'ex-hardeur HPG où Canto retrouve sa Rachida (pour qui il a écrit quelques chansons) et qui devrait agiter l'opinion.
Dans son édition du 6 mars 2011, le JDD fait l'état des lieux de l'investissement d'Eric Cantona dans la résurrection du New York Cosmos, franchise légendaire dissoute en 1985 et qui ambitionne de retrouver la MLS en 2013. Racheté pour 1,5 million d'euros par un groupe de businessmen britanniques dont Terry Byrne, l'ancien manager de David Beckham, et placé sous la présidence d'honneur d'un autre roi, Pelé, qui acheva sa carrière dans ce club dans les années 1970, le Cosmos a jeté son dévolu sur Cantona.
"Il aura du mal à être pris au sérieux" (Jérôme de Bontin, ex-président de l'ASM, membre de l'US Soccer Federation)
Mais pourquoi Canto a-t-il répondu favorablement ? Son frère Jean-Marie, qui gère avec son autre frère, Joël, ses intérêts et leur boîte de production (Canto Bros), répond : "Là, il n'a pas trop hésité. Il ne se voyait pas reprendre un club bien établi, mais plutôt reconstruire à partir de rien. Dans un club à part qui plus est."
Si l'onde de choc de ce nouveau chantier et de ce retour sur la planète football d'Eric Cantona a été ressentie jusqu'en Europe, l'effet autour du foyer, à Big Apple et en MLS, a été quasi infinitésimal malgré l'affichage géant au coeur de la mégalopole américaine et la vidéo grandiloquente "cigare-we are back", comme le fait remarquer Jérôme de Bontin, ex-président de l'AS Monaco qui travaille désormais à l'US Soccer Federation : "Il aura du mal à être pris au sérieux. Sa vidéo avec un cigare et ce we are back est un peu grotesque. Plus personne ne fume aux Etats-Unis et les fans de beach soccer sont surtout des enfants. Preuve que ces professionnels britanniques du marketing qui l'ont recruté ignorent la réalité sportive américaine." Il ne faudrait donc pas tabler sur la déferlante de produits dérivés écoulés du temps de son règne de joueur à MU...
Canto prêt pour une "nouvelle révolution"...
La réalité du terrain, le "Cosmic Boy" y est quant à lui de plain-pied désormais. Démissionnaire de son poste de sélectionneur de l'équipe de France de beach soccer, au grand dam de l'adjoint de Laurent Blanc Henri Emile qui voit partir le "meilleur ambassadeur de ce sport", le King était cette semaine en tournée promo avec Pelé à Singapour pour présenter le renouveau du Cosmos. Son emploi du temps pour l'avenir ? Huit mois à New York, quatre en France pour tourner.
Déjà, il a posé les jalons de l'édifice, interrogé par le New York Times : évoquant "quelque chose qui n'a jamais été vu", "une nouvelle révolution" inspirée du football total de l'Ajax Amsterdam et du Barça de Johan Cruyff, il s'est penché sur le projet d'un stade de 45 000 places et a commencé à diffuser sa philosophie du football aux jeunes de l'académie du New York Cosmos, une structure de formation qui a perduré malgré la dissolution de la structure élite du club. Un exercice qui doit rappeler à Canto ses moments passés avec son ami le chanteur Cali et ses petits protégés rugbymen dans les Pyrénées-Orientales.