Lui a connu un monde presque sans télévision. Né en 1930, animateur vedette à la fin des années 1960 (avec l'émission Bienvenue, "la première où tout était improvisé"), il se souvient de ses balbutiements, il constate maintenant son abêtisation, l'abrutissement des foules qui en découle. "La télé est devenue le veau d'or !", s'insurge Guy Béart, trois ans après avoir signé, comme le rappelle le JDD auquel il accordait dernièrement un entretien, la satire Télé Attila, fustigeant "Là où elle passe et trop passe/L'esprit ne repousse pas...". Et la chanson, l'art auquel il a voué sa vie, n'échappe pas au carnage des Huns (et des autres) télégéniques (mais pas géniaux) : "Ils cherchent tous le petit buzz ; même pour la chanson, c'est mauvais..."
Alors, quand le présent ne sied point, reste les souvenirs. Ceux de Guy Béart, un joyeux "bordel remarquable", se retrouvent dans Le Grand Chambardement, anthologie de plus de 900 pages (aux éditions Le Cherche-Midi) dont sa fille Emmanuelle signe le prologue et qui compile l'intégralité de ses poèmes et chansons, soit plus de 55 ans de carrière depuis ses débuts discographiques sous l'aile du plus précieux dénicheur de pépites du temps d'avant, Jacques Canetti, alors directeur artistique du label Philips et du cabaret Les Trois Baudets. "C'est con, ai-je dit à mon éditeur, je ne vous rends pas service en étant vivant, vous en vendriez bien plus si j'étais mort, s'amuse avec un humour noir reconnaissable Béart, certes réellement obsédé par la mort, mais qui, à 82 ans, n'en oublie pas de vivre pour autant. Mais à moi, vous rendez un fier service : ce livre ravive ma mémoire de plein de chansons oubliées !"
Bien sûr, l'envie le prend d'arrêter là. De confier à d'autres, pourtant vivant encore, le legs d'une vie, "comme c'est difficile de gérer une oeuvre quand on contrôle tout, éditions, chansons et disques". De "vendre à un grand groupe qui s'occupera mieux de ces choses". Mais ce n'est pas si simple, quand on est d'une génération faite de ce bois-là et qu'on milite encore. Le 28 juin, Guy Béart, bientôt 20 ans après avoir reçu la grande médaille de la chanson française de l'Académie, sera d'ailleurs l'invité du Marathon des mots organisé par Olivier Poivre d'Arvor à Toulouse. Et au Journal du Dimanche, qui publiait le 16 juin le fruit de leur entrevue à l'occasion de la parution de son Grand chambardement, il confiait son envie de remonter sur scène, après avoir signé en 2010 son premier album en quinze ans (sortie d'une traversée du désert baptisée... Le meilleur des choses), "a cappella, pour montrer que ce sont les mélodies et les paroles qui tiennent tout". Pour démontrer qu'une chanson s'adresse à tout le monde, se faire le chantre de la "chanson pour tous" : "L'erreur qui a lieu depuis déjà des décennies, c'est qu'on fait des chansons pour les enfants, d'autres pour les jeunes, les vieux, et maintenant les immigrés. Alors que la chanson doit unir les générations", peste-t-il.
Son contact privilégié avec la génération suivante ? Sa fille, récemment décorée des Arts et des lettres sous son regard fier à lui, Emmanuelle Béart. "On se parle tout le temps, et s'il y en a un qui demande conseil à l'autre, c'est moi !", confie sans ambages l'octogénaire. Et contre toute attente, c'est à elle, qui "a pris des risques tout le temps, y compris avec son corps", qu'il accorde l'avantage du tempérament le plus indomptable : elle est "bien plus rebelle" que moi, assure-t-il. Les chiens ne font pas des chats.