"C'était une pulsion et un besoin, parce que je me rends compte à quel point le temps passe", explique Isabelle Adjani dans les colonnes de Nice-Matin, à propos de sa pièce Kinship. Voilà huit ans que l'actrice aux cinq César se faisait attendre sur les planches, elle qui a joué avec la troupe de Robert Hossein dans La Maison de Bernarda Alba, une coproduction avec la Comédie-Française en 1972, puis dans Mademoiselle Julie (1983), La Dame aux camélias (2000) et, en 2006, La Dernière Nuit pour Marie Stuart. Sur la scène aux côtés des épatants Vittoria Scognamiglio - qui a remplacé au pied levé Carmen Maura - et Niels Schneider, elle parle de l'amour, inconditionnel et brûlant. Ses yeux bleus dans lesquels on pourrait se noyer, sa voix magistrale de reine des arts dramatiques, son allure de femme qui a tant vécu, la comédienne se donne sur scène, nourrie par ce que le public et la salle lui renvoient : "Sans cet échange invisible, ce serait juste impossible", a-t-elle dit au Journal du dimanche.
Le trac fou et presque paralysant des débuts atténué, les rebondissements de la mise en scène passés, Isabelle Adjani a pu s'imposer dans cette pièce à la mise en scène minimaliste qui explore l'amour dans sa dimension tragique, celui d'une femme qui veut tout en oubliant les dommages collatéraux. Librement inspiré de la tragédie Phèdre de Racine par l'Américaine Carey Perloff, le spectacle sort des sentiers battus pour se distinguer du classicisme de la représentation de l'amour dramatique. Elle songe même à en faire une adaptation libre pour le cinéma, en vue duquel elle a acquis les droits. De quoi faire écho à un rôle qu'elle n'a pas joué mais qu'on lui avait proposé, celui de l'héroïne de Liaison fatale avec Michael Douglas et Glenn Close.
De nouveau sous le feu des projecteurs, Isabelle Adjani en profite pour mettre les choses au clair dans les pages de Nice-Matin : "Les donneurs de leçons et les maîtres de morale, je m'en tamponne. Le public est là, les gens ne se font plus manipuler." Une référence aux mauvaises langues qui voyaient dans les changement de mise en scène ses soi-disant caprices de star. Elle a subi tant d'attaques au cours de sa passionnante carrière qu'elle les affronte désormais avec lucidité et franchise : "J'ai voulu mener une vie sans me soucier des diktats du star system, être indifférente à tout ça, sans avoir peur de ne pas être mince, de ne pas être belle, en me disant 'le talent suffit', quelle erreur !" Cette femme passionnée et passionnante s'insurge contre le regard misogyne et tyrannique dont les femmes sont les victimes et se désole devant la nature humaine en voyant les critiques de certains. Une vulgarité et une cruauté qui la mènent vers Nabilla et le sort qu'on lui réserve : "Ce n'est pas mon monde."
Son monde, c'est celui de l'art. Sa prochaine pièce sera avec Luc Bondy : "J'ai envie de faire un grand texte avec lui, plutôt du côté russe." Au cinéma, elle commencera début mars le film Les Visages écrasés, adapté du livre de Marin Ledun qui se passe dans un milieu qui s'apparente à celui de France Télécom. Le personnage principal est un médecin du travail face aux salariés et aux risques de suicide. Il sera réalisé par Louis-Julien Petit, le réalisateur de Discount : "C'est le futur Ken Loach français", dit-elle, enthousiaste, dans Nice-Matin.
Kinship, de Carey Perloff, avec Isabelle Adjani, Niels Schneider, Vittoria Scognamiglio, mis en scène par Dominique Borg, au Théâtre de Paris. Depuis le 4 novembre jusqu'au 23 janvier