Discrète sur la relation amoureuse qu'elle entretenait avec Stéphane Charbonnier, dit Charb, Jeannette Bougrab est sortie de son silence au micro de BFM TV et de Ruth Elkrief. Retenant ses larmes, l'ex-ministre aux idéaux politiques diamétralement opposés à ceux que son compagnon incarnait au travers de Charlie Hebdo (dont il était le directeur de la rédaction), s'est confiée à coeur ouvert et sans langue de bois, fidèle à ses principes.
"J'ai perdu l'être aimé, mon amour, une partie de moi."
"Il n'aimerait pas me voir pleurer", avoue-t-elle d'emblée, la voix tremblante. Courageuse et digne, l'ex-secrétaire d'État chargée de la Jeunesse et de la Vie associative s'est dévoilée en tant que femme, compagne amoureuse et admirative de l'homme qui était le sien. "J'étais avec un héros que j'admirais", avant de réitérer encore cet amour qu'elle lui portait : "J'ai perdu l'être aimé, mon amour, une partie de moi."
Bouleversante, elle fait le récit de ce qu'elle a vécu. Elle était au Conseil d'État lorsqu'elle a appris la fusillade. "J'ai envoyé un texto, puis deux, mais il ne répondait pas", raconte-elle. L'ex-ministre évoque également un appel, qui reste vain. Elle contacte alors l'avocat de Charlie Hebdo, et se précipite à la rédaction où elle va apprendre que son compagnon est mort, même si sur la scène du drame, beaucoup n'osent pas encore l'avouer. Elle découvrira, derrière les cordons, les corps sans vie et allongés des victimes.
"Le sentiment d'un immense gâchis"
"Il est mort debout" rappelle-t-elle plusieurs fois, précisant qu'elle n'a toujours pas vu le corps de son compagnon depuis le drame. "Il mérite le Panthéon. Ils méritent une cérémonie comme Malraux a pu le faire pour Jean Moulin. Eux, ils sont morts pour défendre la liberté d'expression", affirme, le sanglot en travers de la gorge, l'engagée politicienne qui a également présidé la HALDE (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité).
En tout point sincère, elle n'hésite pas à dire "qu'on a perdu beaucoup de temps, qu'on aurait pu sauver leurs vies et qu'on l'a pas fait". "J'ai le sentiment d'un immense gâchis", confie-elle, arguant qu'il a fallu ce drame horrible pour éveiller des consciences. "Est-ce que cette fois, on prendra la mesure en France qu'une guerre est déclarée", se demande-t-elle, accusant notamment les Indigènes de la République d'avoir pris en grippe des personnalités et politiques, eux qui avaient épinglé Jeannette Bougrab, la qualifiant d'islamophobe.
"Je refuse l'idée de me réjouir que des gens manifestent"
Face à l'élan de solidarité des Français et même du monde entier, Jeannette Bougrab demeure inébranlable. "Il y aura un avant et un après, mais j'ai perdu Stéphane et ça ne va pas me le ramener", dit-elle avant d'affirmer quelques minutes plus tard : "Je refuse l'idée de me réjouir que des gens manifestent dans la rue." Dimanche prochain, à la manifestation à laquelle tous les partis politiques participeront, Jeannette Bougrab comme la famille de Charb n'y prendront pas part.
Devant Ruth Elkrief, elle aussi émue par le récit pesant et les déclarations inqualifiables parce que si émouvantes, Jeannette Bougrab évoque son intimité avec Charb. "Évidemment il se sentait menacé. Il vivait dans la peur. On essayait de vivre normalement, mais c'était difficile", avoue-t-elle. Elle ira même jusqu'à déclarer que son compagnon n'a jamais voulu être père justement à cause de cette peur. "S'il n'a jamais eu d'enfant, je crois que quelque part, c'est parce qu'il savait qu'il allait mourir." Jeannette Bougrab, elle, avait décidé d'adopter une petite fille en 2012.
Encore sous le choc, elle avoue "ne pas encore réaliser ce qu'il s'est passé" mais ne veut surtout pas savoir qui sont les terroristes qui ont anéanti sa vie, prenant celle de son compagnon. "Je ne veux pas d'explications sur les parcours de ces gens-là [...] Alors que ce soit de pauvres gamins perdus et en manque de repères, je m'en moque totalement. Ils ont tué, assassiné, et ils continueront à tuer si on ne les arrête pas", a-t-elle déclaré, avec force et conviction.