Une morne consternation a vite pris la place d'une nervosité prête à se muer en effervescence, dans les esprits et dans les médias espagnols : avant même l'annonce de la désignation de Tokyo pour l'organisation des Jeux olympiques d'été 2020, la candidature de Madrid avait été recalée, éliminée à l'issue du premier tour de vote du Comité International Olympique et après un tie-break face à Istanbul. Une terrible désillusion, malgré la réaction très philosophe du prince héritier Felipe d'Espagne, qui a mené avec classe et assurance la délégation ibérique lors de cette semaine cruciale à Buenos Aires, épaulé par son épouse Letizia...
La bouffée d'oxygène espérée par les Espagnols ne leur aura pas été accordée. Si chacune des candidatures (Madrid, Tokyo, Istanbul) avait ses forces et faiblesses, la péninsule ibérique aura sans doute été plombée par le poids de la crise qu'elle subit de plein fouet, propre à générer des inquiétudes pour l'avenir, et par les scandales de dopage qu'elle a connus.
Jusqu'au bout, le dossier Madrid 2020 aura tenté de se montrer sous son meilleur jour, avec la présence en Argentine d'une importante délégation comprenant le Premier ministre Mariano Rajoy et des athlètes de premier plan, ainsi que la princesse des Asturies, venue en renfort en cours de semaine. D'une élégance très sobre, ombre scintillante de son époux, vendredi soir pour le gala d'ouverture de la 125e session du CIO au Teatro Colon, la princesse Letizia a d'ailleurs sorti l'artillerie lourde samedi 7 septembre 2013, jour de l'ultime grand oral et du verdict à l'Hôtel Hilton : affolante dans une petite robe rouge coordonnée à la cravate officielle de la délégation et escarpins, son éclat au service de la nation roja semblait vouloir dire qu'il fallait être aveugle pour ne pas voir les séduisants atouts de la candidature madrilène, basée sur des Jeux "raisonnables et responsables" ! En vain... Pour sa quatrième tentative après 1972, 2012 et 2016, Madrid a été retoquée... et Paris se frotte les mains, dans la perspective d'une candidature européenne pour 2024.
Le prince Felipe a donné une bonne image, ses ministres pas vraiment...
Et tandis que la presse ibérique se lamentait, le prince Felipe, avant de quitter les lieux en tenant serrée contre lui son élégante épouse, tentait de regonfler le moral de ses troupes en évoquant, comme souvent ces derniers mois, un avenir meilleur : "Je le regrette profondément, mais il y a assez de raisons pour rester motivés. Il y a tellement de projets que nous avons dans notre pays autour du sport, notre héritage olympique est fort et continuera à le rester. C'est un petit revers, mais il faut le digérer, se relever et continuer à avancer (...) Un projet de cette envergure a contribué à unir sans conteste les Madrilènes et les Espagnols. Il est important de savoir qu'un excellent travail a été fait, c'est une compétition et nous ne pouvions pas gagner. Le sport nous a donné tant de satisfaction que nous allons continuer à travailler pour que cela continue à l'avenir", a conclu l'héritier du trône, si fier depuis quelques années des performances sportives de ses compatriotes (football, handball, tennis, etc.).
Parmi les cadors du sport espagnol, justement, Rafael Nadal, en marge de sa qualification pour la finale de l'US Open aux dépens de Richard Gasquet, s'est montré moins fair-play qu'à son habitude : "C'est très dur et fatiguant pour nous car le pays et la ville de Madrid ont énormément travaillé pour avoir une chance à plusieurs reprises. Nous pensons que nous le méritions, j'étais déçu car je sentais que nous étions bien placés, tout le pays était très impliqué. Je ne pense pas que ce soit 100% juste que nous soyons éliminés au premier tour alors que nos rivaux n'ont pas présenté autant de candidatures que nous." Sans doute Rafa ignorait-il qu'Istanbul tentait en fait sa chance pour la cinquième fois... Mais sans doute espérait-il par ailleurs, après avoir dû déclarer forfait pour les JO de Londres 2012, accueillir à son tour ces Jeux où Andy Murray brilla à domicile.
Le vote du CIO a "éteint d'un souffle l'espoir que les Jeux atténueraient la crise (...) C'est le candidat avec l'économie la plus solide et celui qui a lutté le plus efficacement contre le dopage qui a gagné", a déploré le quotidien espagnol El Pais, tandis que El Mundo, pointant l'humiliation d'une éviction dès le premier tour, veut y voir la preuve de la détérioration de l'image du pays, "plombée par le chômage, la crise, la corruption politique, les tensions territoriales et la longue ombre du dopage". D'ailleurs, le quotidien de centre droite fustige les "interventions médiocres des politiques", mais décerne un satisfecit au prince Felipe, pour la "bonne image" qu'il a donnée, notamment en s'exprimant en trois langues lors de la présentation de la candidature samedi.
A Istanbul, défaite par 24 voix d'écart (60 contre 36), c'est aussi la soupe à la grimace, et l'analyse pertinente et instructive du prince Albert II de Monaco, pilier du CIO qui s'est déplacé à Buenos Aires pour prendre part au vote, n'atténuera sans doute pas la déception : "La situation géopolitique a certainement joué un rôle, a-t-il commenté, en référence à la situation en Syrie et au fait qu'Istanbul est partisane d'une intervention militaire multilatérale. Les membres du CIO préfèrent les paris sûrs... Istanbul, comme les autres, était vraiment une bonne candidate."
Du côté de Tokyo et du Japon, pays marqué par la catastrophe de Fukushima, l'engagement a été également exemplaire dans cette compétition. Les garanties apportées par le Premier ministre Shinzo Abe en matière de sécurité sur l'après-Fukushima ont dû peser lourd dans la balance. A noter que le prince Naruhito et la princesse Masato, laquelle souffre d'une santé psychologique fragile et évite au maximum les séjours à l'étranger, s'étaient déplacés.