Cinq coups de feu qui claquent devant le Dakota Building, mythique immeuble de Manhattan, et un corps qui tombe, inerte. À 22h52, ce lundi 8 décembre 1980 à New York, Mark Chapman vient de tirer sur John Lennon devant son épouse, Yoko Ono. Jay Hastings, portier du Dakota, recouvre le musicien de son uniforme. Touché à l'aorte, Lennon meurt quinze minutes plus tard au Roosevelt Hospital de la 59e rue.
Sept étages plus haut, un petit garçon de 5 ans dort, inconscient du drame qui vient de se jouer. Enfant unique de Yoko et John, Sean perd son père, alors qu'il le connaît à peine. Toute sa vie, il devra porter ce fardeau. Et, pour mieux l'affronter, il décidera lui aussi de se saisir d'une guitare. "J'ai perdu mon père et je ne savais pas comment combler ce vide. Apprendre à jouer ses chansons à la guitare a été un moyen de surmonter ça et de me connecter à lui, expliquait-il le mois dernier dans le magazine américain People. Lorsque vous avez perdu un parent, ce genre de choses vous motive, car vous essayez de le retrouver. En faisant de la musique, j'ai toujours eu l'impression de mieux le connaître."
Au même moment, à quelques milliers de kilomètres de là, en Angleterre, un adolescent de 17 ans apprends qu'il a également perdu son père. Il s'agit de Julian Lennon, le premier enfant de John dont la maman est son amour de jeunesse, Cynthia Lennon, née Powell. Comme Sean, Julian ressent une immense peine. Mais elle est matinée de colère, car les deux fils n'ont pas eu la même enfance.
Julian est né trois semaines après le premier tube, Please Please Me, des Beatles. John est alors le seul membre du groupe à avoir un enfant. Il a 22 ans et cette naissance le contrarie. À cette époque, il n'est pas bon pour l'image d'un groupe qu'un des leurs soit père de famille. On cache donc Julian et sa mère aux fans et, pour lui, les Beatles deviennent "l'ennemi plutôt que le modèle", comme l'expliquera un journaliste. À onze ans, il reçoit sa première guitare offerte par John.
Dans les années qui suivent, John s'occupe peu de lui, trop occupé par sa carrière et ses amours. La douleur de Julian est d'autant plus grande que, lèvres pincées, nez immense et droit et voix, nasale, il est le quasi-sosie de son géniteur.
En 1971, John s'installe à New York avec Yoko Ono, ce qui l'éloigne encore plus de Julian. En 1974, sous l'influence de May Pang, une éphémère fiancée, John renoue avec lui et l'invite à jouer de la batterie sur l'album Walls and Bridges. Une expérience sans lendemain. Julian sera très marqué par ce dédain, comme il l'avouera plus tard dans le Daily Telegraph : "Papa pouvait parler de paix et d'amour à haute voix au monde, mais il ne pouvait jamais le montrer aux personnes qui comptaient le plus pour lui : sa femme et son fils. Vous ne pouvez pas le faire, pas si vous êtes vrai et honnête avec vous-même." Julian sera même exclu du testament de son père et devra mener un procès pour trouver un accord avec Yoko Ono.
Pour Sean, tout a été différent. Soucieux de ne pas répéter les erreurs commises avec son aîné, John met sa carrière entre parenthèses en 1975 pour s'occuper exclusivement de lui. Véritable papa gâteau, il le promène tous les jours dans Central Park, en bas du Dakota Building, l'initie à la fabrication de pain artisanal et l'emmène en vacances dans des îles paradisiaques. Il lui en sera toujours reconnaissant. Tout comme il sait gré à la légende de son père d'avoir favorisé sa carrière de musicien (il a publié sept albums).
"Je bénéficie de faveurs refusées à d'autres musiciens de mon âge, confessait -il en 1998 dans Le Monde. J'ai une chance incroyable : si je pars en tournée mondiale, ce n'est pas grâce aux seules qualités de mon album. Si vous m'interviewez, c'est essentiellement parce que je suis le fils de John Lennon." Il a aussi hérité du franc parler du Beatles assassiné : "Les comparaisons avec mon père, ce n'est pas mon problème. Je fais de la musique parce que c'est ce que je fais le mieux. Ceux qui ne m'acceptent pas, je les emmerde."
À dix-sept ans, Julian a aussi formé son premier groupe, The Lennon Drops. Autre point commun, il a également sorti sept albums, qui ont eu moins de succès que ceux de son demi-frère. Il a quand même fini par pardonner à son père, comme il l'a avoué dans une interview avec CBS News en 2009 : "J'ai réalisé que si je continuais à ressentir cette colère et cette amertume envers mon père, j'aurais un nuage constant au-dessus de ma tête toute ma vie. Il me semblait juste de boucler la boucle, de pardonner à papa."
En 2007, Julian Lennon a cédé une partie de sa participation financière dans le catalogue de chansons des Beatles, ce qui l'a rendu très riche. Vingt-sept ans après sa mort, John a alors, sans le vouloir, réparé une partie de l'injustice dont il a accablé son premier enfant.