Il ne manquerait plus que le prince Felipe et la princesse Letizia, qui présidait superbement hier la 50e cérémonie de remise des prix du Club international de la presse à Madrid, commettent à leur tour un impair... La monarchie espagnole traverse une crise sans précédent, et le souverain ibérique, Juan Carlos Ier d'Espagne, se trouve obligé de se flageller comme jamais auparavant pour ne pas perdre en l'espace de quelques scandales (le dernier en date étant son safari secret au Botswana, conclu par un accident et une hospitalisation), l'aura de chef spirituel populaire dont il jouit largement depuis 37 ans.
Annus horribilis...
Ces derniers mois, marqués par la situation alarmante de son pays (4,7 millions de chômeurs et une jeunesse sans horizon), ont vu un enchaînement de catastrophes médiatiques, terribles pour l'image de la famille royale : une biographie sulfureuse d'une journaliste jadis plutôt acquise à la cause des têtes couronnées de la péninsule ; le scandale Noos, affaire (res)surgie en novembre 2011 et actuellement instruite par le jugé José Castro de Palma de Majorque, dans laquelle son gendre Iñaki Urdangarin pourrait être inculpé de quatre chefs d'accusation suite au détournement de millions d'euros ; le récent accident de tir de son petit-fils de 13 ans Felipe (dit Don Froilan) au dernier jour des vacances de Pâques, lorsqu'il s'est perforé le pied droit avec un fusil de chasse au maniement duquel son père Jaime de Marichalar l'initiait dans leur propriété de Soria. Et, enfin, ce voyage d'agrément très coûteux au Botswana (en compagnie, comme se le demandent les tabloïds allemands, de sa supposée maîtresse de longue date, la princesse Corinna de Sayn-Wittgenstein ?) pour y chasser l'éléphant, de quoi faire hurler de rage autant le contribuable que le citoyen éveillé à la préservation des espèces menacées, au cours duquel Juan Carlos Ier a trouvé le moyen de se blesser le 14 avril suite à une chute, obligeant son rapatriement et son opération express de la hanche droite, fracturée en trois morceaux...
Quelques heures après son petit-fils, qui a quitté l'hôpital Quiron de Madrid avec sa mère l'infante Elena tandis que la justice suit son cours (son père Jaime de Marichalar, poursuivi par la garde civile pour négligence - l'usage d'armes à feu par des mineurs de moins de 14 ans est illégal -, est passible d'une amende et de la confiscation de ses armes), le monarque a pu à son tour regagner son domicile, mercredi 18 avril. Mais avant de quitter l'hôpital San Jose de Madrid, aidé d'une paire de béquilles, Juan Carlos Ier s'est fendu d'une allocution télévisée pour présenter ses excuses suite à sa partie de chasse au Botswana. Un "acte de contrition" inédit, comme le qualifie à raison l'AFP, inédit, qui fait écho à la publication décidée par le roi, geste là aussi inédit, des comptes de la famille royale en décembre dernier, en réponse au scandale Noos.
Les excuses inédites d'un roi en grande difficulté
"Je suis désolé, j'ai commis une erreur et cela ne se reproduira pas", a brièvement - onze mots, en espagnol, et quatre secondes - déclaré le roi mercredi, "visage livide", devant les médias (l'agence Efe, la TVE et la Radio Nacional), dans un couloir de l'hôpital San José. "Merci à tous d'avoir attendu ici aussi longtemps", a-t-il encore dit, tout en exprimant sa gratitude à l'équipe médicale et son désir de retourner au plus vite à ses activités officielles. Le directeur général de l'hôpital San Jose, Javier de Joz, a indiqué que le bilan post-opératoire était très satisfaisant et que Juan Carlos Ier avait retrouvé une totale autonomie. Il devra dans les prochaines semaines se soumettre au suivi ambulatoire normal auprès du chirurgien qui l'a opéré, le Dr. Villamor.
L'entourage du roi, qui s'est succédé à son chevet (même Iñaki Urdangarin, plus du tout en odeur de sainteté, s'est enquis de sa condition depuis Washington, où il vit avec l'infante Cristina), n'a en rien modifié son emploi du temps officiel. Son fils et héritier le prince Felipe a assumé, comme à chaque fois, l'intérim sans problème durant la convalescence de son père, attendu vendredi pour une réunion avec son chef du gouvernement, le Premier ministre Mariano Rajoy.
Les excuses inattendues du monarque espagnol témoignent bien de la soudaine fragilité de l'édifice royal, ébranlé par les récents coups de boutoir médiatiques. Jusque-là leader incontesté, rarement exposé ou décrié (sinon par des minorités activistes), préservé par une presse faisant - comme une majorité des sujets - acte de déférence à son égard, Juan Carlos Ier doit depuis peu répondre de ses actes et de ceux de la famille royale pour éviter la défiance et l'embrasement de l'opinion. Son état de santé ne joue pas en sa faveur : le charisme du roi et la solidité inflexible de son physique d'athlète, devenus au fil des années presque des symboles de la démocratie espagnole, ne sont plus cette valeur étalon, ce gage de confiance, puisque, à 74 ans, le roi ne semble plus à toute épreuve. Un bémol entré en scène depuis son opération d'une tumeur au poumon en mai 2010 et une autre, bénigne, en septembre 2011.
La chasse aux éléphants au Botswana : une récidive qui coûte cher...
Un déficit de sérénité sérieusement aggravé par les récentes affaires, qui, d'ailleurs, font ressurgir de manière rétroactive de vieux fantômes. Si l'accident de tir du jeune Don Froilan a tristement rappelé comment le jeune frère de Juan Carlos, Alfonso, était mort à 14 ans en manipulant une arme avec son aîné de 18 ans, l'épisode de la chasse au Botswana apparaît comme une récidive.
L'opinion se rappelle soudainement que le roi Juan Carlos, pourtant président d'honneur de la WWf en Espagne (pour combien de temps encore ?), a largement satisfait à sa passion de la chasse à l'ours, tuant neuf spécimens dont une femelle enceinte en 2004 en Roumanie, et une bête de plus, dans des conditions douteuses (ours drogué) lors d'un voyage privé en Russie en août 2006, selon les autorités locales. La même année, il allait déjà chasser au Botswana, posant fièrement devant le cadavre de divers animaux, dont un éléphant - cliché utilisé par le site Internet de l'agence Rann Safaris, monnayant des chasses à l'éléphant à 30 000 euros. Des faits d'armes que les groupes écologistes ne manquent pas de remémorer à une opinion publique choquée par le budget que consacre leur souverain à ses petits plaisirs macabres. "On ne peut pas dire que le chômage des jeunes lui fasse perdre le sommeil", ont conspué les groupes de gauche, exprimant un avis vraisemblablement partagé à grande échelle...
Malgré tout, l'Espagne, via les réactions de sa presse aux excuses du roi, a démontré que son roi jouissait encore d'un capital d'amnistie élevé : El Pais (centre-gauche) a salué la force de ce bref message et a reconnu dans l'aveu de sa "grave erreur" et ces "excuses historiques" un "geste qui l'honore", tandis que ABC (droite) voulait envisager "l'humilité" du souverain comme un exemple pour tous dans le pays.
G.J.