Chaque émission des Infiltrés, et ses "caméras cachées" controversées, provoque beaucoup de bruit, mais la prochaine émission portant sur les réseaux de pédophilie sur Internet, qui sera diffusée sur France 2 le 6 avril, a eu des conséquences allant au-delà des polémiques : l'interpellation de vingt-deux personnes en France et une au Québec selon Le Point.
Laurent Richard, l'auteur de cette investigation réalisée pour le magazine animé par David Pujadas, s'est fait passer pour une fille de 12 ans sur Internet et, tenu par la loi française de signaler les pédophiles, a entraîné cette importante prise. Cet événement fait écho aux arrestations à Tremblay qui se sont produites le jour-même de la diffusion du reportage de Haute-Définition, le magazine d'Emmanuel Chain, sur un trafic de drogue. Toutefois, il y a des différences notables entre les deux interventions policières.
Dans le cas de l'affaire de drogue, les choses sont différentes. La police travaillait depuis plusieurs mois sur ce dossier et a souhaité faire son coup de filet le jour-même, évitant ainsi, soit que l'on pense que la police n'a pas su gérer ce genre de situation, soit que les dealers prennent leurs dispositions avant que la police n'intervienne, voyant la médiatisation de leur trafic. Cependant, d'après le Monde daté de demain, ce documentaire avait été réalisé avec l'accord des dealers, avertis de la présence des caméras. Une trop grande confiance en leur impunité ou une envie de notoriété d'idiots sans cervelle ?
Si la police a refusé de répondre aux questions des journalistes sur ce documentaire tourné en décembre 2009, un haut responsable de la PJ a accepté de commenter les images sur le plateau. La police a donc pu ainsi visionner le reportage plusieurs jours avant sa diffusion et découvrir à l'avance qu'il donnait une vision très critique sur la réalité de la lutte contre la drogue ! Le Ministère de l'intérieur a sans doute voulu désamorcer cette bombe médiatique. Bien leur en a pris puisque 980 000 euros ont été saisis (une prise exceptionnelle) ainsi que des stupéfiants, des armes et 4 personnes ont été interpellées...
En ce qui concerne Les Inflitrés, les choses sont claires : c'est le journaliste lui-même qui a dénoncé à la police, les internautes pédophiles qu'il a croisés et qui a permis toutes les interpellations.
Le site Télé 2 semaines a rapporté les propos de Laurent Richard, rédacteur en chef du magazine Les Infiltrés produits par Capa, et auteur du reportage sur lequel il a travaillé durant une année : "On n'est pas dans une fiction, j'ai vu les images, j'ai vu ce qu'ils faisaient. [Il a regardé des heures durant et pendant plusieurs mois les images circulant sur le net, NDLR]. Les empêcher d'agir, c'est une bonne chose, j'ai fait ce que tout citoyen français doit faire. J'aurais été plus mal à l'aise de ne rien faire. Ce sont des faits d'une gravité absolue, il n'y a pas à tergiverser." Rappelons que ne pas alerter les autorités aurait pu être considéré par la justice comme de la complicité.
Selon lui, l'obligation de dénoncer était donc une évidence. Avant de se lancer sur le terrain, Laurent Richard savait-il dans quelle situation délicate il plongeait et le rôle qu'il pourrait jouer vis-à-vis de la police ? Les liens entre journalisme, télévision et police n'ont jamais été aussi étroits.
Ce qu'a permis ce reportage se passe d'interrogations puisque la réaction du journaliste est la plus évidente possible. Les détracteurs du type de reportage qu'utilise les Infiltrés - souvent critiqué et assimilé à du vol d'images - peuvent reconnaître cette fois l'efficacité de ce reportage sur la pédophilie, mais cela ne veut pas dire qu'il faut en accepter la généralisation à la télévision sur toutes les questions.
Ces arrestations ne valident pas les méthodes mises en oeuvre par Les Infiltrés pour les sujets sur les maisons de retraite, la presse people, ou encore sur les sectes. Dans Le Parisien en janvier 2009, la rédaction des
Infiltrés avait tenu à expliquer que grâce à elle, les retraités maltraités ont été transférés, une immigrée clandestine été régularisée, le dossier des sectes est revenu à l'ordre du jour... La gravité du dernier sujet des Infiltrés rassemble les opinions, mais le concept de l'émission reste toujours controversé et le lien entre la police et les journalistes continue d'être délicat.
Ce qui nous semble plus grave, c'est que la police ne soit intervenue contre ce trafic de drogue à Tremblay en France ou contre ce réseau de pédophilie que quand l'enquête a été menée en amont par des journalistes... Nos cartes de presse vont-elle maintenant être délivrées ou renouvelées directement par le Ministère de l'Intérieur ?