"L'Espagne a besoin de la France, et la France a besoin de l'Espagne. (...) Vive la France, vive l'Espagne" : mardi soir, sous les ors de l'Élysée qui peinaient presque à rivaliser d'éclat avec la reine Letizia, somptueuse dans une robe bordeaux Felipe Varela, le charismatique roi Felipe VI d'Espagne exacerbait dans un discours vibrant les sentiments réciproques que nourrissent "ces deux grandes nations". Mercredi, il avait l'opportunité d'approfondir cette belle amitié en rencontrant deux fameux transfuges, Anne Hidalgo et Manuel Valls.
Au lendemain d'une première journée de leur visite d'État où le président François Hollande s'est employé à les accueillir avec tous les honneurs dus, Felipe VI et Letizia d'Espagne débutaient leur programme de mercredi en compagnie d'Anne Hidalgo, secondée par certains de ses conseillers, dont son premier adjoint Bruno Julliard. Avec la maire franco-espagnole de Paris, naturalisée en 1973 et titulaire de la double nationalité depuis 2003, le couple royal inaugurait dans la matinée le Jardin des combattants de la Nueve, espace qui longe la façade sud de l'Hôtel de Ville. "En août 1944, la Nueve - c'est-à-dire la 9e compagnie de la 2e division blindée française, composée majoritairement d'Espagnols, libéraient cet Hôtel de Ville", a rappelé en castillan le monarque aux côtés de la maire de Paris Anne Hidalgo, elle-même née dans la province de Cadix, en hommage à ces soldats républicains qui furent les premiers, au soir du 24 août 1944, à libérer par le sud la capitale de l'occupation allemande. Sous le regard d'une Letizia éblouissante en tailleur blanc ceinturé signé Felipe Varela et escarpins dorés Adolfo Dominguez (tout comme sa pochette), qui affichait sa nouvelle coupe au carré après avoir attaché ses cheveux la veille, Felipe a dévoilé une plaque commémorative, déclarant : "Ce jardin sera le symbole de la liberté et de la tolérance, deux des grands signes d'identité de la ville de Paris." À propos d'identité, Anne Hidalgo lui a répondu qu'elle est "une Française qui n'a jamais cessé d'être espagnole. Je vis ma double nationalité comme une chance" : "De grandes personnalités françaises et parisiennes, telles que le Premier ministre et vous-même, incarnent un magnifique exemple de ces liens vitaux", a souligné le même jour l'hôte de marque espagnole.
Le Catalan Manuel Valls, justement, prenait ensuite le relais, accueillant le roi Felipe VI et la reine Letizia à Matignon pour le déjeuner, en compagnie de son épouse Anne Gravoin, mais aussi de sa mère Luisangela, Suissesse italophone : "Nous avons parlé en français et en espagnol", a confié le Premier ministre français né à Barcelone en 1962 et naturalisé en 1982 au sujet de cette rencontre chargée d'une "émotion particulière". Anne Hidalgo et la ministre de l'Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem partageaient également leur table.
Au préalable, les visiteurs espagnoles avaient fait étape au Petit Luxembourg, résidence du président du Sénat français, pour y rencontrer le titulaire du poste, Gérard Larcher. Un entretien auquel prenaient part le ministre espagnol des Affaires étrangères et de la Coopération Ramon de Miguel et le président de la commission française des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées Jean-Pierre Raffarin.
Avant d'arriver à Matignon, la reine Letizia avait eu le temps de se changer, adoptant un total look Nina Ricci (jupe et haut rouges, manteau graphique noir et blanc et sac en cuir noir) et abandonnant le blanc à une Anne Gravoin très glamour en robe sur le tapis rouge de la résidence officielle du Premier ministre, lors d'une cérémonie d'accueil qui a semblé particulièrement chaleureuse.
À l'issue de ce déjeuner très cordial, un exercice éminemment fort attendait le roi Felipe VI, invité à s'exprimer devant l'Assemblée nationale. Une intervention exceptionnelle dans l'hémicycle du Palais-Bourbon, bientôt 22 ans après celle de son père le roi Juan Carlos Ier, qui fut en 1993 le premier monarque étranger à s'exprimer devant les députés, et le premier chef d'État ou de gouvernement étranger à le faire sous la Ve République, à l'invitation de Philippe Séguin (RPR), alors président de l'Assemblée.
Au cours de son allocution d'une vingtaine de minutes intégralement en français, sous les yeux emplis de fierté de son épouse Letizia, le souverain ibérique a passé en revue des thèmes forts, tels que la lutte contre le terrorisme, le chômage, les problématiques environnementales ou encore la construction d'une "Europe de liberté". Devant un auditoire où figuraient notamment le président de l'Assemblée Claude Bartolone et les anciens Premiers ministres Edouard Balladur, François Fillon et Jean-Marc Ayrault, il a expliqué pourquoi les Espagnols "veulent plus de France" : "Sans la France, il n'y a pas d'Europe. Sans une France sûre d'elle-même, fidèle à ses valeurs et déterminée à les défendre, l'Europe et le monde perdraient une référence très précieuse." De quoi susciter une longue ovation des députés et du gouvernement au terme de son intervention. "Quand le roi d'Espagne, jeune, populaire et qui incarne l'unité de son pays, vient à l'Assemblée dans le cadre de son voyage d'État, cela représente une émotion particulière, surtout pour ceux qui sont d'origine espagnole comme moi [ou] la maire de Paris", a réagi Manuel Valls dans les couloirs du Palais-Bourbon.
Felipe et Letizia se sont ensuite entretenus avec la directrice générale de l'UNESCO Irina Bokova.
Mercredi soir, le couple royal parachevait son intense journée parisienne en présidant une réception en l'honneur des expatriés espagnols à l'ambassade d'Espagne, avenue Marceau dans le 8e arrondissement de la capitale. Avec, à la clé, une nouvelle prise de parole pour le roi de 46 ans, qui a salué le "sacrifice" fait par ses compatriotes pour une autre vie à l'étranger, qui contribue à construire "un pont" entre la France et l'Espagne.
Ce jeudi matin, au troisième et dernier jour de cette visite d'Etat qui avait été contrariée le 24 mars dernier en raison du crash de la Germanwings, le roi Felipe VI devait rencontrer des représentants des milieux économiques espagnols et français, avant de participer à un forum d'entreprises.
G.J.