Voilà dix-sept pages bien fournies qui sèment le trouble dans l'univers du magnat du cinéma français Luc Besson. Le Parisien/Aujourd'hui en France a publié dans son édition du 16 novembre une longue enquête portant sur une note confidentielle de la Cour des comptes, critiquant le financement public de la Cité du cinéma de Besson, un projet privé. Selon le quotidien qui a pu lire cette note évoquant des soupçons de "détournement de fonds publics", la justice a été saisie puisque le rapport lui a été transmis - toujours d'après Le Parisien - et se trouve sur le bureau de la garde des Sceaux, Christiane Taubira. La société du réalisateur et producteur, EuropaCorp, qui se félicitait il y a peu de son bénéfice retrouvé, a réagi à travers un communiqué divulgué par l'AFP, se déclarant "très surprise" et s'indignant "de cette mise en cause indue".
Luc Besson avait inauguré les larmes aux yeux sa Cité du cinéma, surnommée Hollywood-sur-Seine, au mois de septembre 2012. Neuf plateaux de tournage et deux écoles de cinéma - l'Ecole Nationale Supérieure du cinéma Louis Lumière et une autre gratuite -, mais aussi des bureaux. Le tout créé sur le terrain d'une ancienne centrale électrique, et la vieille turbine a été conservée, transformée en machine à rêves. Des scènes de son dernier film Malavita, avec Robert de Niro et Michelle Pfeiffer, ont d'ailleurs été tournées ici.Selon Le Parisien, les juges financiers affirmeraient que "le financement public de la Cité du cinéma, décidé par quelques hauts responsables publics [...] a été effectué pour permettre l'aboutissement du projet qu'une société privée portait pour son bénéfice, le caractère général du projet restant à démontrer". Le journal met en lumière huit points clés de cette "note explosive" : Le drôle de bail de l'école Louis-Lumière, le projet estampillé à risques qu'est la Cité du cinéma depuis l'origine, le financement public particulièrement massif, le rôle trouble de la Caisse des dépôts, le prêt bancaire réalisé en pleine crise financière, l'influence de l'Elysée et de Claude Guéant , alors secrétaire général de la présidence Sarkozy, celui de Christophe Lambert (directeur général d'EuropaCorp depuis juillet 2010), proche des Sarkozy et enfin, la saisine de l'autorité judiciaire.
Dans cette note la Cour des comptes insiste sur le "souhait de la présidence de la République", pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, de voir le projet "aboutir". "La proximité de M. Besson et de certains de ses collaborateurs avec les plus hautes autorités de l'État a pu favoriser une intervention concertée des acteurs publics", ajoute-t-elle, soulignant que le directeur général Europacorp, Christophe Lambert, avait "travaillé auprès de Nicolas Sarkozy pendant la campagne de 2007". L'AFP rappelle par ailleurs que l'ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, Emmanuelle Mignon, avait été embauchée par EuropaCorp en juillet 2010 comme secrétaire générale et quitté le groupe en janvier 2012 pour réintégrer le Conseil d'État.
"EuropaCorp n'a eu aucune connaissance d'un éventuel rapport de la Cour des comptes. Elle n'a d'ailleurs été interrogée par personne", écrit le groupe fondé par Luc Besson. La Cour des comptes et le ministère de la Justice, interrogés par l'AFP, n'ont pas souhaité faire de commentaire. Aucune confirmation de ce signalement n'avait non plus pu être obtenue samedi auprès des parquets de Bobigny (Seine-Saint-Denis) et de Paris, compétent en matière de délits financiers.
On apprend dans cette soi-disant fameuse note d'une part que "les conditions de montage et de financement de l'opération [...] sont susceptibles de caractériser le délit de détournement de fonds publics et de recel de ce délit". Le groupe EuropaCorp dira de son côté : "Il est à rappeler Europacorp n'a bénéficié d'aucune aide financière publique d'aucune sorte pour sa réalisation." La société a rappelé que la Cité du cinéma "a été financée par un partenariat public-privé (La Caisse des Dépôts et le Groupe Vinci) et c'est ce modèle de financement qui a permis sa réalisation - sans l'intervention financière de la Seine-Saint-Denis". "EuropaCorp déplore que cette magnifique réalisation soit prise en otage pour des règlements de comptes politiques", selon le groupe "qui ne saurait tolérer que de telles mises en cause soient proférées sans qu'il y soit donné les réponses judiciaires appropriées".
Le montage financier de la Cité du cinéma avait été bouclé en 2008 rappelle l'AFP : 170 millions d'euros, dont 140 millions pour l'achat du foncier, détenu à 100% par la société Nef-Lumière (75% la Caisse des dépôts, 25%Vinci) et 30 millions pour la construction des plateaux de tournage via différentes sociétés de Luc Besson et Quinta communications, le groupe du producteur et homme d'affaires tunisien, Tarak Ben Ammar.
Nous apprenons par l'AFP qu'Europacorp va porter plainte contre Le Parisien, pour diffusion d'informations fausses ou mensongères, et pour diffamation. Par la voix de son avocat, Me Jean-Marc Fedida, la société dit "engager une procédure pénale pour un délit de diffusion d'informations ou mensongères". Europacorp engage également "des poursuites en diffamation à l'encontre du journal, de la journaliste Odile Plichon, et du directeur de la publication du Parisien - Aujourd'hui en France, auteurs des allégations attentatoires à son honneur et à sa considération", alors que le titre Europacorp perdait, ce jour à 13h30, 4.36 % à la Bourse, dans un marché en hausse (0.74 %).