Le premier film de Claude Miller était masculin et tordu, mais la carrière de cet immense cinéaste est avant tout marquée par la présence des actrices, sublimées par la caméra d'un homme à l'écoute des corps et des passions.
Alors que le cinéma est en deuil depuis la disparition de ce réalisateur, décédé le 4 avril à 70 ans d'une longue maladie, la belle filmographie de Claude Miller revient hanter l'esprit des cinéphiles.
Naissance d'un cinéaste
Diplômé de l'IDHEC (FEMIS) en 1961, Claude Miller arpente les plateaux de Marcel Carné, Jean-Luc Godard et François Truffaut pendant une dizaine d'années avant de passer à son tour derrière la caméra. Après deux courts métrages, il réalise La Meilleure Façon de marcher (1976) avec Patrick Dewaere et Patrick Bouchitey. Une histoire perverse qui raconte la relation entre un homme fier de sa virilité et un autre, qui aime se travestir en femme. Un premier film très remarqué, nommé trois fois aux César.
Un an plus tard, Dites-lui que je l'aime (1977) met en scène la passion destructrice de Gérard Depardieu pour Dominique Laffin, mais Claude Miller marque véritablement les esprits avec Garde à vue (1981), un huis-clos dans lequel Michel Serrault, Lino Ventura et Romy Schneider se retrouvent dans un commissariat pour une sordide histoire de meurtres, le soir du réveillon. Le film reçoit quatre César, dont celui du meilleur acteur pour Michel Serrault et celui du meilleur scénario, notamment co-écrit avec Michel Audiard. Vingt ans plus tard, Hollywood en réalise un remake, Suspicion (2000) avec Morgan Freeman, Gene Hackman et Monica Bellucci.
La Femme, cet obscur objet de désir
Mais la fascination du réalisateur pour les actrices se révèle dans Mortelle Randonnée (1983), où Isabelle Adjani séduit les hommes riches avant de les tuer. À l'image de Michel Serrault, hypnotisé par cette apparition, Claude Miller filme Adjani comme une beauté venue d'ailleurs dans un scénario signé par Michel et Jacques Audiard. Deux ans plus tard, il révèle la brutalité naïve de Charlotte Gainsbourg dans L'Effrontée (1985), portrait d'une adolescente rêveuse et secrète. À seulement 15 ans, la fille de Serge Gainsbourg décroche le César du meilleur espoir et retrouvera Claude Miller dans La Petite Voleuse (1988).
Comme Bertand Blier, Claude Miller traverse une période creuse pendant les années 90. L'Accompagnatrice (1992) avec Richard et Romane Bohringer, Le Sourire (1994) avec Emmanuelle et Mathilde Seigner, La Classe de neige (1998) et La Chambre des magiciennes (2000) avec Mathilde Seigner ne rencontrent pas leur public. Après avoir retrouvé l'attention avec Betty Fisher et autres histoires (2001), il présente La Petite Lili (2003) au Festival de Cannes.
Cette relecture de La Mouette de Tchekhov ramène Claude Miller à la vivacité de ses débuts. Le film raconte la valse sentimentale d'une famille du cinéma, déchirée par la relation tumultueuse entre la mère actrice, amante d'une célèbre cinéaste, et son fils réalisateur, épris d'une apprentie comédienne. Venue présenter Swimming Pool de François Ozon et La Petite Lili à Cannes, Ludivine Sagnier se métamorphose en objet de désir, tandis que Julie Depardieu décroche le César du meilleur espoir et de la meilleure actrice dans un second rôle. Quatre ans plus tard, elle décroche son troisième César avec un autre film de Claude Miller, Un secret (2007) avec Cécile de France et Patrick Bruel.
La fin d'une ère
De retour en France après le documentaire Marching Band (2009) réalisé aux Etats-Unis pendant les élections présidentielles, Claude Miller se lance dans un projet avec son fils Nathan. Une idée survenue quelques années plus tôt dans l'esprit du père : "J'étais alors en plein tournage d'Un secret, où Nathan tenait la deuxième caméra. À l'époque, il n'arrivait pas à monter son premier film, il y avait longtemps qu'il n'avait pas fait de court métrage... Comme je savais qu'on s'entendait dans le travail et sur le cinéma en général, je me suis dit que ce serait bien de lui proposer de réécrire avec moi."
Pourtant, Je suis heureux que ma mère soit vivante (2009) est une déception sur le plan financier, avec seulement 51 000 entrées. Deux ans plus tard, Voyez comme ils dansent (2011) avec Marina Hands se contente de 47 000 spectateurs.
Loin de baisser les armes malgré une maladie qui le rongeait, Claude Miller continuait à filmer. Adapté du roman de François Mauriac, Thérèse Desqueyroux raconte comment une jeune femme désespérée empoisonne son mari pour échapper à une morne existence. Porté par Audrey Tautou et Gilles Lellouche, ce drame promettait au cinéaste un beau retour en novembre prochain.
Les adieux au roi
Alors que la mort de Claude Miller est annoncée depuis quelques heures, les personnalités du cinéma lui rendent hommage.
Michel Blanc a expliqué sur RTL : "C'est vraiment quelqu'un qui a beaucoup compté pour le démarrage de ma carrière. (...) C'est très étrange parce que Claude et moi, nous avons une histoire de rendez-vous manqués, par la suite, parce que peut être trois, quatre fois, il m'a proposé des rôles que finalement il ne m'a pas donnés." Bernadette Lafont gardera le souvenir d'un homme "délicieux", tandis que le candidat socialiste François Hollande parle de son côté d'un "homme simple et bon qui avait su aller naturellement de Marcel Carné à François Truffaut, avant de se lancer lui-même dans la réalisation".
Gilles Lellouche, l'un des derniers acteurs à avoir tourné avec Claude Miller, s'est confié à Première : "Sur Thérèse Desqueyroux, je me souviens surtout de sa passion et de son courage. Il était malade sur le plateau, mais il ne voulait pas lâcher la barre. C'était impressionnant de le voir combattre la maladie : il prenait son traitement mais refusait de se laisser abattre, refusait d'abandonner son film et ses acteurs... (...) J'ai vu le film terminé il y a quelques semaines et c'est une oeuvre magnifique. Ça me fait bizarre d'en parler comme ça... Je peux juste vous dire qu'on vient de perdre un immense cinéaste, mais aussi un homme délicieux."
Enfin, Guy Marchand a expliqué à BFMTV : "Dans ce métier, on ne vieillit pas, on meurt." Un hommage simple et concis à ce réalisateur inoubliable, dont les quarante ans de carrière sont traversés par la même vitalité et les mêmes rêves.
Thérèse Desqueyroux sortira le 21 novembre 2012.
Geoffrey Crété