Lou Reed n'est plus. Le mythique chanteur, compositeur et musicien est mort dimanche 27 octobre 2013. Avec lui, c'est tout un pan de la culture américaine des sixties qui influença une génération entière qui s'en est allé. Des textes noirs, durs, d'une violence extrême directement influencés par ses expériences personnelles, dénotant avec le style psychédélique de l'époque, empêchèrent Lou Reed de connaître le succès populaire qui aurait dû être le sien dès ses débuts. Mais sa rencontre avec David Bowie après avoir connu Andy Warhol le fit définitivement entrer dans la légende grâce à quelques productions d'anthologie...
Électrochocs et homosexualité
Né à Brooklyn le 2 mars 1942, petit-fils d'immigrés juifs, il apprend dès l'âge de 5 ans le piano, même si lui préfère la guitare, au grand dam de ses parents, un père comptable discret et une mère, forte personnalité de la communauté du borough de New York. À 17 ans, sur les conseils d'un psychologue, Lou Reed subit des traitements par électrochocs afin de le "guérir" de ses penchants homosexuels. Plus tard, il évoquera cette douloureuse expérience dans la composition Kill Your Sons. Après ce traitement de choc, le jeune homme entame une longue plongée dans le monde des médicaments dont il devient vite accro et se met à écrire des textes relatant son état du moment. On y retrouve la violence, la provocation, la noirceur, l'addiction, les mots crus et la froide réalité d'un garçon accro aux médocs. Son talent d'écriture, malgré son décalage avec l'ambiance de l'époque, se développera à l'université de Syracuse (État de New York) sous la férule de l'influent poète de l'époque Delmore Schwartz.
Velvet Underground by Andy Warhol
Éclectique dans ses goûts musicaux, Lou Reed forme dès 1964 et son installation à New York un groupe avec John Cale, étudiant gallois, musicien proche des milieux avant-gardistes de la scène new-yorkaise séduit par ses textes d'une rare violence. Baptisé successivement Primitives, Warlocks et Velvet Underground, le groupe composé également du guitariste Sterling Morrison et de Maureen Tucker à la batterie dans sa version définitive se produit dans la rue et dans de petites salles derrière un écran projetant des longs métrages amateurs, avant d'être repérés par une amie d'Andy Warhol.
Ils intègrent alors la fameuse Factory, lieu de rendez-vous de tout ce que New York compte d'artistes, de marginaux et autres pensionnaires de cette cour des miracles pas comme les autres. Avec Andy Warhol à la mise en scène, la carrière du groupe va connaître une nouvelle vie, notamment lors de la sortie de l'album The Velvet Underground & Nico en 1967. Ce dernier, produit par l'artiste qui en dessine la légendaire pochette et impose la présence du mannequin allemand Nico sur certains titres, est un échec commercial. Pourtant, cet opus est considéré par beaucoup comme une pierre angulaire du punk par ses sons dépouillés, l'énergie qui s'en dégage et les textes qui ne manquent pas de choquer à sa sortie. On y trouve quelques titres majeurs, comme Heroïn, I'm Waiting for the Man, Sunday Morning ou encore All Tomorow's Party. Ce qui fera dire au grand producteur britannique Brian Eno que si quelques milliers de personnes seulement ont acheté ce disque, toutes ont créé un groupe par la suite.
S'ensuivent trois autres albums du Velvet, White Light/White Heat (1967), autre échec du groupe – qui contient la fameuse chanson Sister Ray, du nom de la seringue que Lou Reed utilisait pour prendre toute les drogues possibles et inimaginables – qui précède le départ de John Cale, puis The Velvet Underground (1969) et Loaded (1970). Deux must de créativité qui signifient pourtant la fin de ce groupe emblématique, puisque Lou Reed se retire chez ses parents et disparaît de la scène musicale jusqu'en 1971.
David Bowie et succès
En 1972, après avoir été convaincu par deux producteurs britanniques de reprendre le micro, Lou Reed sort un album solo au titre éponyme qui se révélera être un échec total. Mais la même année, sous la houlette de la nouvelle idole du moment David Bowie, lui-même grand fan du chanteur depuis la Factory, il sort Transformer et ses depuis classiques Perfect Day et Walk on the Wilde Side dans lequel il évoque l'homosexualité et le mode de vie dans certains quartiers de New York, sans oublier les expériences vécues à la Factory liées à la drogue et la transsexualité. Des sujets impensables pour l'époque qui n'empêchent pas Lou Reed d'être propulsé sur le devant de la scène rock internationale.
Sur la lancée, Lou Reed sort l'année suivante Berlin, suivi de l'improbable Metal Machine Music (considéré comme inaudible à l'époque, il est pourtant le fondateur de ce que l'on appelle aujourd'hui la musique industrielle), et le plus séduisant Coney Island Baby en 1976, dernier succès majeur de la star qui ne sortira plus que de bons albums, loin d'atteindre les sommets qu'il avait pu tutoyer avec Transformer et Berlin. Seuls des live, excellents au demeurant et comptant parmi les meilleurs productions live de rock, sortiront du lot, à l'image de Rock 'n' Roll Animal, paru en 1974 et Lou Reed Live, en 1975.
Chanteur engagé cauchemar des journalistes
En 1989, l'album New York marque le retour de Lou Reed au premier plan. Dans cet opus, la star parle de sa ville et des thèmes qui lui sont chers, comme l'exclusion sociale, le sida ou les quartiers défavorisés. Car si l'homme était un accro des paradis artificiels, il n'en demeurait pas moins un artiste engagé qui avait une sainte horreur des journalistes, et le leur faisait bien payer. Durant des années, il soutient ainsi Greenpeace, Amnesty International, Farm Aid, s'engage farouchement contre l'Apartheid. En décembre 2011, il apparaît encore au milieu des manifestants du mouvement Occupy Wall Street.
Le Velvet Underground se reformera une dernière fois, en 1990, à la Fondation Cartier de Jouy-en-Josas à l'occasion d'une expo-hommage à Andy Warhol. Lou Reed et John Cale se retrouvent, composent à nouveau un nouvel album pour l'artiste disparu en 1987, Songs for Drella avant de partir pour une tournée qui débute en Tchécoslovaquie à Prague où ils sont reçus par le président Vaclav Havel, chantre de la lutte contre l'Union Soviétique et fan du Velvet Underground, source d'influence des milieux intellectuels hostiles au régime communiste en place jusque-là.
Plus discret par la suite, Lou Reed continuera d'influencer de nombreux groupes et d'apparaître comme invité sur quelques productions signées Damon Albarn pour Gorillaz ou encore Metallica. Fanatique de photos, il publiera plusieurs livres de ses clichés. Marié depuis 2008 avec l'artiste expérimentale Laurie Anderson, sa compagne depuis le début des années 90, Lou Reed avait subi une greffe du foi en avril 2013. Une opération qui lui a "sauvé la vie", déclarait alors son épouse.
Mais c'est bien des suites des complications liées à cette greffe que Lou Reed s'en est allé ce 17 octobre à l'âge de 71 ans. Sunday Morning chantait-il...