A peine a-t-il fait l'objet d'un premier documentaire dédié (Pierre Schoendoerffer, la sentinelle de la mémoire), véritable portrait hagiographique réalisé en 2011 par le critique Raphaël Millet avec Olivier Bohel (Nocturnes Productions) retraçant son parcours remarquable et dépeignant avec la force de la vérité son humanisme, que Pierre Schoendoerffer quitte la scène. L'écrivain, réalisateur, scénariste et documentariste français est mort tôt au matin du 14 mars 2012 à l'âge de 83 ans, a appris Le Figaro auprès de sa famille. Marié en 1958 à Patricia, journaliste de France-Soir rencontrée en 1955 au Maroc, Pierre Schoendoerffer était père de trois enfants, tous trois versés dans le septième art : Amélie est actrice, Ludovic est réalisateur et producteur. Quant à l'aîné, sans doute le plus connu du grand public, Frédéric Schoendoerffer, qui avait assisté son père sur la réalisation de Diên Biên Phu, film de 1992 sur la Guerre d'Indochine revenant sur la bataille au cours de laquelle Pierre Schoendoerffer, caporal-chef dans l'armée, avait été fait prisonnier, il a également suivi les traces du paternel et est lui-même devenu réalisateur et scénariste (Scènes de crime, Agents secrets, Truands, Switch, Braquo).
Commandeur de la Légion d'honneur, lauréat du Grand prix du roman de l'Académie française, élu à l'Académie des beaux-arts en 1988, dont il présidait la section cinéma depuis 2001, récipiendaire de l'Oscar du meilleur documentaire pour La Section Anderson (The Anderson Platoon), réalisation de 1967 sur la Guerre du Vietnam qui, deux ans après La 317e Section, acheva d'asseoir sa notoriété aux Etats-Unis et l'installa comme une référence en la matière pour des réalisateurs américains ultérieurs (Francis Ford Coppola pour Apocalypse Now, Oliver Stone pour Platoon), Pierre Schoendoerffer, bardé de récompenses pour sa carrière militaire et son parcours artistique, a légué à la postérité une oeuvre authentique, tout à la fois témoignage et manifeste humaniste.
Aux quatre vents : de la découverte du monde à la naissance d'une vocation
Né le 5 mai 1923 à Chamalières (Puy-de-Dôme) dans une famille d'origine alsacienne marquée par la Guerre franco-prussienne (1870) et la Première Guerre mondiale (son grand-père, qui avait combattu en 1870, s'était engagé en 1914 à l'âge de 66 ans, au grade de capitaine, et avait péri en 1918 sur le tristement célèbre Chemin des dames lors de la Seconde bataille de l'Aisne - offensive Nivelle), Pierre Schoendoerffer avait perdu son père, directeur de l'hôpital d'Annecy, lors de la Seconde Guerre mondiale. A l'hiver 1942-1943, inspiré par la lecture d'un roman de Joseph Kessel (Fortune Carrée, 1932), une véritable révélation et pour ainsi dire un modèle d'aventurier-reporter, il décide de se faire marin et embarque à bord d'un chalutier à voile. Plus tard, à l'été 1946, il travaille comme pêcheur au large de Pornic (Loire-Atlantique), ce qui inspirera son court métrage Than, le pêcheur tourné en 1958 au Vietnam, et son long Pêcheur d'Islande en 1959.
Après deux années en Mer baltique et Mer du Nord avec la Marine marchande, expériences maritimes qui rejailliront dans son documentaire Sept jours en mer (1973), dans son chef-d'oeuvre littéraire Le Crabe-Tambour (1976, porté à l'écran en 1977), ou encore dans Là-haut, un roi au-dessus des nuages (roman de 1981, adapté en 2004), il effectue en 1949-1950 son service militaire au sein du 13e Bataillon des chasseurs alpins, période de sa vie qui se retrouve dans L'Honneur d'un capitaine (1982). Pas fait pour être marin ni soldat, plutôt désireux de faire du cinéma, il entre alors aux services cinématographiques de l'armée, inspiré par l'exemple du reporter de guerre Georges Kowal lors du premier conflit indochinois.
De la Marine à l'Indochine, de la guerre à l'écran
Fin 1951, il est envoyé en Indochine, où il rencontre le sergent-chef Jean Péraud, photographe de guerre qui le prend sous son aile. Dès 1952, Pierre Schoendoerffer réalise un premier documentaire, Épreuves de Tournage de la Guerre d'Indochine, qui sera inclus en 1982 à L'Honneur d'un capitaine ainsi que dans des documentaires des années 2000 sur la bataille de Diên Biên Phu. A 26 ans, Jean Péraud, son supérieur, appelle le caporal-chef Pierre Schoendoerffer à la rejoindre pour la bataille de Diên Biên Phu. Schoendoerffer filme l'atrocité des combats ; des documents qu'il devra détruire, ainsi que son équipement, suite à la défaite française face au Viêt-Minh, comme relaté plus tard par son fils Frédéric dans le docu-fiction de 1992 simplement intitulé Diên Biên Phu, où ce dernier joue le rôle de son père. Six segments d'une minute échappent néanmoins à la destruction - qui atterriront entre les mains du cinéaste et propagandiste soviétique Roman Karmen - avant qu'il soit capturé et fait prisonnier, malgré une tentative d'évasion (vaine), le 7 mai 1954. Durant sa détention, il reçoit les visites de Roman Karmen et se lie avec lui ; le Russe lui révèle alors qu'il a récupéré ses séquences, incorporées à sa restitution cinématographique du conflit.
Pierre Schoendoerffer est libéré le 1er septembre 1954. Cette expérience de la guerre et de la privation de la liberté d'expression forge sa vocation de documentariste. Il devient reporter-photographe de guerre pour des revues comme Paris-Match, Time, Life, etc. Quittant le Vietnam en 1955, il rencontre lors de ses pérégrinations son mentor de jeunesse Joseph Kessel et échange avec lui sur les années qu'il vient de vivre. Après une parenthèse hollywoodienne sur le tournage d'un film, il rentre en France, se fait embaucher par Pathé Journal et part au Maroc pour couvrir l'insurrection de la Guerre d'Algérie. Une collaboration de courte durée. C'est alors que Joseph Kessel fait appel à lui pour réaliser (avec Jacques Dupont) un film en Afghanistan, dont il a rédigé le scénario : La Passe du Diable (1956). En 1959, année où sort son film Ramuntcho réalisé en 1958, Pierre Schoendoerffer se voit commander par Pierre Lazareff, fondateur de France-Soir (journal pour lequel officient son épouse Patricia et son ami Joseph Kessel), un reportage sur la Guerre d'Algérie pour l'émission d'anthologie de l'ORTF Cinq colonnes à la une.
Retour au Vietnam pour un Oscar
C'est grâce à ce même Lazareff qu'il retournera en 1966 au Vietnam pour réaliser pour l'ORTF La Section Anderson, un an après avoir reçu le Prix du meilleur scénario au Festival de Cannes 1965 pour La 317e Section, film documentaire de référence adapté de son roman éponyme de 1963 sur la Guerre d'Indochine. La Section Anderson, réalisé avec Dominique Merlin et suivant l'armée américaine engagée dans le Guerre du Vietnam, se voulait en quelque sorte la reprise de son documentaire inachevé de 1954 sur la Guerre d'Indochine, considérant qu'il s'agissait du prolongement du même conflit, l'armée américaine ayant remplacé l'armée française. Ce documentaire lui vaudra l'Oscar à Hollywood, et une reconnaissance magistrale outre-Atlantique.
Pierre Schoendoerffer publie en 1969 L'Adieu au roi (Prix Interallié), adapté au grand écran par John Milius en 1989, et en 1976 le roman Le Crabe-Tambour, Grand Prix du roman de l'Académie française qu'il adapte lui-même au cinéma en 1977 après un tournage en Atlantique nord sur un vaisseau de guerre, et pour lequel il reçoit en 1978 trois César (meilleur acteur pour Jean Rochefort, meilleur acteur dans un second rôle pour Jacques Dufilho, meilleure photographie) en plus de nominations dans les catégories meilleur film et meilleur réalisateur.
Suivront Là-haut (1981), qu'il adaptera en 2004, Diên Biên Phu 1954/1992, de la bataille au film (1992), et L'Aile du papillon, roman de 2003 récompensé par le Prix littéraire de l'armée de terre - Erwan Bergot et le Prix Encre Marine de la Marine nationale.
En 2007, Pierre Schoendoerffer était retourné en Afghanistan, à l'invitation du 1er régiment de chasseurs parachutistes, cinq décades après y avoir été amené par Joseph Kessel. En 2009, il avait signé la préface de l'album La Guerre d'Indochine de Patrick Buisson. Il était en novembre 2011 l'invité de Michel Drucker sur le plateau de Vivement dimanche.
Pierre Schoendoerffer avait massivement obtenu la reconnaissance de la nation et du monde artistique, matérialisée par les plus prestigieuses distinctions : des insignes de commandeur de la Légion d'honneur, d'officier de l'Ordre national du mérite et d'officier des Arts et des Lettres en médailles militaires (six citations pour la Croix de guerre et une palme), en César, Oscar et palmes académiques (chevalier).
L'émotion causée par la disparition de Pierre Schoendoerffer promet d'être générale et de donner lieu à des hommages exemplaires. Purepeople.com présente ses sincères condoléances à sa famille et souhaite s'associer à sa peine.
G.J.