La photo a 44 ans et date du 1er février 1980. Elle est en noir et blanc et montre une maman qui joue avec ses enfants dans un parc parisien. Cette femme, c'est Nadine Trintignant. Ses enfants : Marie et Vincent, nés de ses amours avec le comédien Jean-Louis Trintignant. Sous sa longue chevelure brune, l'aînée, qui vient de fêter ses 18 ans, rit des acrobaties de son petit-frère qui vient d'en avoir six. Instants de bonheur saisis sur le vif d'une famille dans son quotidien. Mais derrière la joie, et des années avant qu'une tragédie ne vienne détruire ce foyer, ce cliché, déjà, dissimule un drame...
L'histoire entre Jean-Louis Trintignant et Nadine Marquant, son nom de jeune fille, débute dans les années 50. Sur les ondes de France Culture en avril 2022, cette dernière se remémorait leurs débuts : "Ma première amie Annie Fargue (une comédienne, ndr) jouait avec lui au théâtre de l'Oeuvre (...) Elle me dit : 'viens le voir, c'est une sorte de Marlon Brando'. Alors je vais au théâtre pour voir la répétition et après j'ai dit à ma copine : 'ton Marlon Brando, il est un peu de la zone, et il n'a pas été frappé non plus par moi'", a-t-elle raconté. Si la relation ne débute donc pas par un coup de foudre, ce n'est que partie remise.
En 1958, toujours avec son amie Annie Fargue, Nadine Trintignant se rend un soir à l'Alhambra voir les ballets de Roland Petit. "Il y avait Jean-Louis, racontait-elle à Var Matin en 2021. À la sortie, il propose de nous raccompagner en voiture. Annie habite rue du Beaupaire, près de l'Alhambra, si bien qu'elle me laisse toute seule avec lui." Trintignant effectue son service militaire. Il n'a pas les moyens d'inviter au restaurant celle qui est alors une jeune assistante monteuse. Nadine lui propose donc de cuisiner quelques pommes de terres à la braise chez elle. "Ravi, raconte-t-elle, il monte chez moi. Et notre histoire a débuté ainsi."
"Il m'a dit une phrase très jolie : 'on fera un bout de chemin ensemble, on verra bien s'il est long ou court.' Et ça, ça m'a rassurée", complétait Nadine Trintignant dans France Culture. Le chemin durera 15 ans. Il sera jalonné de joies. Ces lettres d'amours enflammées qu'ils échangent, ces sorties au théâtre où ils se rendaient tous les soirs, ces poèmes que Jean-Louis déclamait à celle qui allait devenir sa femme, en 1961. Puis, en 1962, ce premier enfant, Marie, qui voit le jour pour leur plus grand bonheur... Mais la route qu'ils suivent tous deux les conduira aussi à des drames. En 1970, dix mois après sa naissance, Pauline, leur deuxième enfant, meurt. "Asphyxie liée à une régurgitation de lait", concluront les médecins. La petite Marie, 8 ans, les accuse. "Je me souviendrai toujours de cette phrase terrible qu'elle m'a dite sur le moment : 'Pourquoi tu as laissé les médecins la tuer ?", se remémorait Nadine dans Gala. Premier deuil, que la maman tente d'exorciser en écrivant et réalisant "Ça n'arrive qu'aux autres", film qui raconte l'histoire d'un couple qui doit affronter le décès de leur nourrisson.
Trois ans plus tard, Jean-Louis et Nadine Trintignant voient débarquer dans leur vie Vincent, un nouvel enfant. Dans ces années-là, il tourne cinq films par an, sa femme, elle, continue, d'écrire et de réaliser. Mais cette vie de bohème qui consiste à se croiser entre deux tournages ne va pas durer. D'abord parce que le souvenir de Pauline est toujours là, douloureux. "J'ai lu après, dans des tas de livres, que ça arrive à beaucoup de couples. Quand ils perdent un enfant, ils perdent la possibilité de donner du bonheur à l'autre et c'est ce qui nous est arrivé. On n'arrivait plus à être vraiment heureux ensemble, la dernière année", notait Nadine Trintignant au micro de France Info, en 2021. Ensuite parce que Jean-Louis a la tête au travail, et le coeur, à d'autres femmes, comme Romy Schneider avec qui il connaîtra une explosive idylle, peu avant la naissance de Vincent. Nadine, elle aussi, regarde déjà ailleurs, en l'occurrence, vers Alain Corneau, qui deviendra son deuxième mari. Au début des années 80, ils divorcent... mais n'en ont pas fini, ensemble, avec les épreuves.
Dimanche 27 juillet 2003. Une terrible nouvelle sort les Français de la torpeur estivale. L'actrice Marie Trintignant, suite à ce qui est alors qualifié de "violente querelle" survenue avec son compagnon Bertrand Cantat la nuit précédente, est entre la vie et la mort. Le neurochirurgien français Stéphane Delajoux estime son "état très grave". La suite, tout le monde, hélas, la connaît. La mort de Marie, cinq jours plus tard, à 41 ans; ses obsèques où Jean-Louis Trintignant, Nadine et leur fils Vincent se retrouvent, tout de blanc vêtus, puis le procès de Cantat, qui avait affirmé avoir voulu "se flinguer", la prison etc...
Comment continuer de vivre lorsqu'on a perdu deux enfants ? La question, les parents de Pauline et Marie se la sont posée. Jean-Louis, notamment, avait beaucoup tergiversé. Mais il avait choisi la vie. Quant à sa femme, comme elle l'avait affirmé en 2014 dans une tribune publiée par le Huffington Post : "On n'a pas le droit au suicide quand on est mère." Mère, elle le restait assurément. Pour son dernier enfant : Vincent.
Après le départ de Jean-Louis Trintignant, ce dernier, comme Marie, sera adopté par Alain Corneau, le nouveau mari de Nadine. Il portera donc les deux noms. Depuis son plus jeune âge, Vincent Trintignant est plongé dans l'univers du cinéma. À seulement 3 ans, il fait une apparition dans Le Voyage de noces, réalisé par sa mère. Il débute comme acteur puis scénariste à ses côtés, avant de devenir assistant-réalisateur en 1997 sur Beaumarchais, l'insolent d'Édouard Molinaro. Il multiplie les projets, notamment avec sa mère sur Victoire ou la douleur des femmes (2000) et Colette, une femme libre (2003) tournage au cours duquel sa soeur perd la vie. C'est lui qui, averti par Cantat à 6h du matin, constatera que Marie saigne de la bouche et appellera les secours.
Parallèlement, Vincent collabore fréquemment avec Alain Corneau sur des films tels que Le Cousin (1997), Stupeur et tremblements (2003) et Crime d'amour (2010). En 2009, le cinéaste passe derrière la caméra avec le court-métrage Cadeau de rupture. En 2013, en duo avec sa compagne Christine Chansou, il réalise son premier long-métrage, Même un oiseau a besoin de son nid, un documentaire sur les expulsions forcées au Cambodge. Un film engagé, à l'image du texte qu'il diffuse fin 2019 avec son neveu Romain Kolinka, le fils aîné de sa soeur, appelant à la fin des violences faites aux femmes après qu'Adèle Haenel a accusé un réalisateur d'agressions sexuelles. Depuis lors, le jeune homme, qui a toujours préféré l'ombre à la lumière, est resté discret.
Jusqu'à la mort de Jean-Louis Trintignant, en juin 2022, Vincent était resté proche de son père biologique. Il allait souvent lui rendre visite à Collias, cette petite commune non loin de Nîmes où le cinéaste a fini ses jours...