C'est l'histoire d'une peine de coeur. La dernière fois, c'était déjà le cas, et ça avait donné The Fall. Sauf que le coupable n'était pas le même homme. Autre bourreau (un mystérieux auteur de fiction), même conséquences : Norah Jones a rassemblé les éclats de son petit coeur brisé dans Little Broken Hearts, son nouvel album, qui vient de paraître.
Brisée mais pas vaincue : la chanteuse américaine, révélée à 23 ans par l'album Come away with me et incarnation d'une certaine sensualité, s'y révèle prête à régler ses comptes (à l'image du morceau Miriam écrit pour occire la maîtresse de son ex), quitte à embarquer pour des destinations musicales plus pop. On s'en serait douté dès l'aguicheuse et dangereuse pochette de l'album, pastiche de l'affiche d'un film des années 1960 : Mudhoney (1965) de Russ Meyer. Un choix qui ne doit rien au hasard : d'abord parce que ce poster de Mudhoney trônait au-dessus du canapé où Norah Jones s'installait chaque jour dans le studio de Danger Mouse (Brian Burton, géniale moitié de Gnarls Barkley qui a collaboré avec The Black Keys, Beck, et prépare le prochain U2...), producteur de Little Broken Hearts, et que, à force de le contempler, la chanteuse a eu envie de ressembler à l'héroïne ; mais aussi, peut-on penser, parce que l'univers sulfureux de Russ Meyer contient une représentation culte de la domination féminine (Faster, Pussycat! Kill! Kill!, Supervixens) qui semble très à propos après la trahison sentimentale qu'a subie Norah Jones.
Si elle n'est pas assimilable à un individu identifiable comme l'était The Fall, nourri de la rupture en 2007 de Norah Jones et de son bassiste Alexander Lee, qu'elle retrouva au sein de son groupe The Little Willies, l'amertume amoureuse s'entend partout sur le bien nommé Little Broken Hearts. "J'ai eu une année un peu sombre, je ne me sentais pas bien au moment où on a fait le disque, cela se reflète forcément dans les textes", concédait encore récemment - mais sans en dire plus - l'intéressée au quotidien Le Parisien, à moins d'un mois du passage de sa tournée en France, notamment à l'Olympia le 25 mai. Et de réagir, en rigolant : "Je vous rassure, je n'ai tué personne !", lorsqu'on évoque la ballade assassine Miriam.
"J'ai toujours entendu dire qu'on écrit de bien meilleures chansons quand on traverse des épreuves. Ca craint, mais c'est vrai !", avait également admis Norah Jones auprès de Rolling Stone. Elle peut en témoigner, elle qui a amené à l'été 2011 une poignée de chansons trè spersonnelles et très chargées émotionnellement dans le studio de Danger Mouse, avec qui elle avait commencé à travailler sur Little Broken Hearts en 2009, avant de mettre le projet en sommeil et de se retrouver pour le concept-album de Danger Mouse, Rome.
De leur rencontre et de la participation inédite de Norah Jones à la composition, qui avait jusque-là l'habitude de boucler ses chansons avant de passer en studio d'enregistrement, est né un album qui ne ressemble à rien de ce que la New-Yorkaise a fait auparavant, en maintenant dix ans de carrière. Happy Pills, premier single servi par un clip touchant, en était le plus éloquent témoignage. Un vrai placebo.
Sombre mais lumineux et transperçant dans la justesse de ses humeurs, à peine romancées et émaillées de ce qu'il faut d'éléments intimes pour que l'auteure ne quitte pas son usuelle réserve, Little Broken Hearts réussit le tour de force d'entretenir l'intérêt de bout en bout grâce à une grande puissance dramatique, se faisant bande-son d'une love story qui ne finit pas en happy end.