Le journaliste politique Alain Duhamel et son frère Patrice publient Cartes sur table, un livre d'entretiens menés par le journaliste médias de L'Express Renaud Revel, dans lequel ils reviennent sur quarante ans de liaisons parfois dangereuses entre la télévision et la politique. Patrice Duhamel connaît bien son sujet : il était jusqu'en août directeur général de France Télévisions, bras droit de Patrick de Carolis, alors PDG d'une maison dans la ligne de mire de Nicolas Sarkozy.
Cette semaine, pour VSD, les frères Duhamel évoque justement les rapports tendus de Nicolas Sarkozy avec le service public. Patrice Duhamel et Sarkozy se connaissent depuis trente ans, mais, comme l'explique le journaliste, "après ma nomination sur France Télévisions, en 2005, nos rapports se sont rapidement détériorés."
Car Sarkozy s'intéresse à la télévision, à tous les programmes et à qui les présente. Dernièrement, c'est l'existence d'une liste noire - des animateurs que Sarkozy aimerait voir déguerpir du service public au profit de personnalités qu'il apprécie, comme Daniela Lumbroso – qui a été évoquée. L'existence de cette liste semble se confirmer par un épisode datant du mois de juin 2008. Le 17, Yann Arthus-Bertrand reçoit les insignes de l'ordre du Mérite à l'Elysée. Patrice Duhamel est présent au côté du président de la République... qui lui reproche alors d'avoir recruté Julien Courbet.
Duhamel revient sur cet épisode : "Ç'a été très violent, ce jour-là, parce qu'il y avait plein de monde. Et on ne répond pas au président de la République en public. Pendant un quart d'heure, il nous a pulvérisés. Tout y est passé : l'info, les programmes, le social, la qualité. Tout était 'nul' sur France Télé. Le président paradait, ironisait. Il nous a exécutés, en direct et en public. Et c'était d'autant plus cruel que, tout en me houspillant, il me prenait le bras en me disant : 'Tu sais, Patrice, je t'aime bien.'"
Duhamel et Patrick de Carolis se sont donc fixé une règle d'or pour exercer sans complaisance envers le pouvoir en place, et cela a été difficile. Duhamel prend pour exemple le cas de David Hallyday et Cyril Viguier, venus proposer à la chaîne un talk-show hebdomadaire, via leur société DHCV Productions : "Le président m'a téléphoné pour que je les reçoive. Il y tenait beaucoup. Avec Patrick de Carolis, on s'était fixé une règle d'or : tous les gens dont Nicolas Sarkozy nous parlait, que ce soit en bien ou en mal, on les traitait de manière totalement et exclusivement professionnelle. Donc le projet Hallyday et Viguier a été traité de la même façon. Et il ne correspondait pas aux besoins de l'antenne."
Le Parisien décrivait cet épisode dans son édition du 18 février 2010 dans un encadré évoquant les objectifs télé de David Hallyday. Ce dernier s'était insurgé contre l'idée qu'il aurait obtenu un rendez-vous chez France Télé suite à l'intervention de Nicolas Sakorzy. Il est intéressant de voir Patrice Duhamel le confirmer, huit mois plus tard.
En tant que journaliste politique, Alain Duhamel trouve que "les rapports entre Nicolas Sarkozy et [son] frère étaient malsains et déplacés." Lui, en revanche, a su garder une distance requise lui permettant de faire son travail en toute indépendance : "Avec moi, les rapports sont sains et, même plutôt plus sains qu'avec ses prédécesseurs. Il a toujours été d'une courtoisie parfaite à mon égard. Je l'ai interviewé une bonne dizaine de fois."
Ce n'est malheureusement pas le cas avec tout le monde, comme l'observe Patrice Duhamel : "L'une des différences majeures avec ses prédécesseurs est que Nicolas Sarkozy est né avec la télévision. Il connaît tout le monde ou presque, il tutoie les patrons de chaînes, les journalistes, les animateurs."
Les exemples de Nicolas Sarkozy témoignant son mécontentement face au service public ne manquent pas. Il est "soupçonné" par exemple d'avoir fait virer Arlette Chabot. Patrick de Carolis n'est plus en poste, c'est Rémy Pflimlin, nommé par Sarkozy, qui a, dès son arrivée, remplacé la patronne de l'info... L'assurance de rapports apaisés ? Patrick Sébastien, l'un des noms de la fameuse liste noire, prévient : "Mon contrat de télé dure jusqu'en juin, et s'il n'est pas renouvelé, ça voudra dire que cette liste noire existe vraiment, et ce sera la faute du petit, et j'espère que vous ne l'oublierez pas au moment de voter."
Retrouvez l'intégralité de cette interview dans VSD, en date du 28 octobre au 3 novembre.
Cartes sur table. Entretien avec Alain et Patrice Duhamel, de Renaud Revel, aux édtions Plon, 228p., 19€