Il nous prévient d'emblée qu'il est un peu malade, mais qu'il a toute sa tête, même si, souligne-t-il, "à 85 ans il y a des choses qui marchent moins bien qu'avant". Jean-Claude Delarue vit désormais en province, à Dax, dans les Landes, où il s'est retiré "avec une amie" qui a un appartement juste à côté de chez lui. "J'ai besoin d'avoir des personnes qui sont proches et qui peuvent veiller un peu au grain. C'est nécessaire", confie-t-il avant d'accepter de nous parler de son fils, Jean-Luc Delarue, disparu en 2012 et qui aurait fêté ses 60 ans ce 24 juin 2024.
Purepeople : Nous arrivons à une date marquante, l'anniversaire de votre fils. Y avez-vous songé ?
Jean-Claude Delarue : Bien sûr. Je pense à lui presque tous les jours. À la fois les mauvais moments mais aussi les bons. Les mauvais, ce sont les problèmes de santé qu'il a connus et de ce point de vue, je n'oublierai jamais quand il m'a dit, avant de mourir, qu'il aurait pu continuer à vivre s'il avait écouté les médecins, s'il avait fait les analyses, les examens nécessaires. On aurait pu prendre la maladie beaucoup plus tôt. Il serait sans doute aujourd'hui encore avec nous. Quelques semaines avant sa disparition, il m'a donc dit : "Papa, surtout, ne fais pas comme moi. Quand les médecins te disent d'aller faire tel ou tel examen, fais-le tout de suite. Moi, je ne l'ai pas fait, j'ai attendu beaucoup trop longtemps. Et maintenant j'ai une maladie qui va mal se terminer, je ne m'en tirerai pas..." Ce sont des mots qui m'ont longtemps fait très mal mais c'est un message de prévention que j'ai essayé de transmettre.
Vous évoquiez aussi les bons moments ?
Mes fils, (NDR : Jean-Luc et son frère cadet Philippe), je les voyais un mois entier pendant les vacances. Nous faisions quelque chose d'un peu particulier lorsqu'ils avaient 7 ou 8 ans, nous prenions la voiture, enfin je prenais le volant, et puis on partait en Europe, sans avoir retenu quoi que ce soit, car à l'époque c'était possible, il y avait beaucoup d'hôtels et on en a toujours trouvé un qui pouvait nous accueillir le soir. Donc on partait, en Hongrie par exemple, le pays de la mère de Jean-Luc. On est resté là-bas pas mal de temps, notamment au centre d'entraînement de la cavalerie hongroise. Nous faisions du cheval deux fois par jour et ça lui avait beaucoup plu. Par la suite, il a continué à faire de l'équitation. On a ainsi visité de nombreux pays, les Pays-Bas, le Luxembourg, l'Allemagne, la Suisse, l'Italie, l'Egypte aussi, mais pas en voiture. Ce sont de très bons souvenirs, des moments de liberté, où nous étions tous les trois ensemble.
Et Philippe votre deuxième fils, comment va-t-il?
Il a créé une société de production de dessins animés. Il se bat courageusement, il a du talent, il a de la détermination, de l'obstination.
Quel souvenir marquant gardez-vous de Jean-Luc enfant ?
Une anecdote surprenante. Nous étions en Slovénie, dans l'ex-Yougoslavie, en voiture et à un moment donné, j'entends un vacarme de tous les diables, c'était le pot d'échappement qui s'était à moitié démonté. On était très ennuyés parce qu'en plein dans la montagne, il n'y avait pas un chat et encore moins un garagiste. Il m'a dit : "Papa donne-moi ta ceinture". Il a rampé sous la voiture, il a raccroché le tuyau d'échappement avec la ceinture. Nous avons pu aller jusqu'au garage le plus proche à des kilomètres de là. Ça m'avait beaucoup frappé cette capacité extrême à prendre une initiative quand moi j'étais désemparé.
À quel moment avez-vous compris qu'il avait un talent particulier qu'il pourrait mettre notamment au service des médias?
Il a commencé par faire des émissions de radio, pour lesquelles il n'était pas payé.
Il interviewait des gens pour leur poser différentes questions. Et puis, il a été repéré par des gens du métier qui se sont dits, "Celui-là, il a quelque chose, on va s'occuper de lui, on va le prendre en charge". C'est comme ça qu'il a démarré. Il avait une émission un peu particulière dans une radio libre dont le nom m'a échappé. Je ne sais pas si j'ose le dire, mais il devait demander à des dames dans différents quartiers de Paris, lui même habillé soit élégamment, soit en clochard, si elles voulaient coucher avec lui tout de suite. Evidemment ça donnait lieu à des réponses cocasses. Il avait du culot, c'est sûr.
Vous regardiez ses émissions?
J'en regardais mais je ne passais pas mon temps sans quoi, qu'aurais-je fait d'autres... Il en avait beaucoup. Mais j'en regardais pas mal. Il m'a même fait venir deux fois dans une émission mais direct, sans dire qui j'étais. Lors d'un enregistrement, je me souviens qu'il cherchait son micro partout. Je vois le micro, je le lui tends et il me chuchote à l'oreille pour que ça ne s'entende pas : "Merci papa."
Vous aviez quel type de relation?
Il y a eu des moments avec, et des moments sans dans notre relation. Il avait quand même beaucoup beaucoup de travail. Je suivais ses émissions, j'étais très heureux de voir que ça marchait bien, très heureux de voir que ses émissions se faisaient avec le public et pas au dépens des gens qu'il invitait.
Votre fils a laissé une empreinte forte au sein du paysage audiovisuel français. Que retenez-vous de Jean-Luc Delarue animateur?
Bien sûr, beaucoup de talent, mais en plus, ce qui m'a intéressé chez lui, qui m'a fait plaisir, c'est le fait, comme je vous le disais à l'instant qu'il ne se moquait jamais des gens. Il ne profitait pas de sa supériorité pour écraser des gens, comme ça s'est fait un peu trop souvent à la télévision. Il n'a jamais été humiliant. Ce sont des choses qu'il a apportées à la télé, et je pense que certains de ses successeurs s'inspirent de ce qu'il a fait, de ce qu'il était, même si ce n'est pas conscient de leur part. Il a laissé cet héritage.
Est-ce que vous avez perçu qu'à un moment donné il prenait des risques, qu'il avait un mode de vie qui devenait dangereux pour lui?
Je crois que beaucoup de gens étaient conscients de ça à Paris. Moi, je ne l'ai su qu'après les autres, c'est clair. On a alors cherché un moyen progressif pour se débarrasser de ses problèmes. Mais ça n'a pas été progressif parce qu'il s'est fait coincer par la police. Et je trouve qu'il a très bien réagi. Il y a toujours des gens qui critiquent, mais son Tour de France pour sensibiliser les jeunes était une idée formidable. Je l'aurais d'ailleurs volontiers suivi dans son périple. Une fois, j'ai assisté à l'une de ses interventions dans une classe. Il expliquait alors ce qui lui était arrivé. Quels étaient les dangers et en quoi ça pouvait concerner ces jeunes. Il les mettait en garde mais il était aussi très à l'écoute.
Est-ce qu'il y a des gens, amis ou proches, qui dans cette période là ont pu l'aider ou sur lesquels il a pu compter ou est-ce que vous l'avez senti esseulé ?
C'est quand même une situation dans laquelle on est seuls face à soi-même. Il a fait ce Tour de France avec son camping-car, il a été un peu soutenu. Mais c'était une telle catastrophe pour sa carrière, encore que... Pas grand monde ne pouvait l'aider.
Avait-il des amis dans ce milieu ?
Il en avait mais je ne les connaissais pas. Et puis quand on arrive à ce degré de notoriété, avec quand même pas mal de fric qui circule, on a forcément des opportunistes dans son entourage. Des gens plus intéressés qu'intéressants. Or, ces gens-là, le jour où il y a un problème, on ne les voit plus.
Après sa disparition il y a eu des problème d'héritage entre ses deux ex. Sont-ils réglés ?
Après sa disparition, il y a eu le temps de la douleur. Je ne vous cache pas qu'elle est toujours là. Il y a eu le temps des conflits et cela a été une période extrêmement dure à supporter. Mais tout ça est désormais révolu, derrière moi. Je ne sais pas si je tirerai ma révérence dans trois semaines, dans trois mois ou dans trois ans... Ça me préoccupe plus que le reste.
Essayez-vous de perpétuer sa mémoire ?
J'ai comme tout le monde des réseaux sociaux dont je me sers. Loin de moi l'idée de dire que mon fils était un génie qui avait tout compris mieux que tout le monde. Mais deux qualités, je trouve, marquent sa personnalité et sa carrière et je ne peux que recommander à tous d'essayer d'en faire preuve. Il était curieux des choses, de l'actualité etc... et il était aussi curieux des gens.
Avec le recul, y'a-t-il des choses que vous auriez pu faire autrement avec lui ?
Il y a eu une période au cours de laquelle il était tellement occupé qu'on avait peu le temps de se voir. J'aurais dû insister. J'ai compris ensuite qu'il en aurait eu envie. Je n'ai sans doute pas été assez présent. Peut-être que si j'avais été plus là, il aurait été moins influencé par Untel ou Untel.
C'est-à-dire ?
Je n'avais pas un contact quotidien avec lui, il y a des choses qui m'ont échappée. Mais il y a certaines personnes dans son entourage qui n'étaient pas ce qu'il y avait de mieux pour lui. J'aurais pu essayer de l'aider à se dégager de ce genre de personnages...
Le monde de la télé, la pression, le stress, l'argent, est-ce que tout cela a contribué à sa chute ?
De ce que j'ai compris, ce milieu-là n'aide pas grand-monde. D'un autre côté, il fait partie de ceux qui ont le mieux réussi de sa génération. Il savait comment surmonter les difficultés, sauf quand ça le concernait à titre personnel. Ses influences, son mode de vie, tout cela l'a entraîné des problèmes judiciaires qui n'était pas si graves au regard de ses problèmes de santé.
Que lui diriez-vous aujourd'hui, si vous pouviez lui parler ?
Je suis très fier de toi. De tout ce que tu as fait. Je suis très fier de ton fils, mon petit-fils que je vois souvent, un peu moins maintenant que je suis à 750 km de Paris, mais on se parle souvent et on se voit par téléphone, on communique par mail ou sms... Dans la vie, il y a des choses qui se passent bien et d'autres qui se passent mal. Tu as fait front sur le plan professionnel et médiatique. Tu n'as pas pu faire front du point de vue de la santé...
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