L'anecdote en dit long. Le 13 avril dernier, Nice matin rapporte une affaire survenue dans le quartier des musiciens, dans le coeur bourgeois de la préfecture des Alpes-Maritimes. Deux hommes qui ne sont plus de la première jeunesse s'accusent mutuellement de violence. Le premier est un ancien pianiste de jazz, Alain Hakem, qui accompagna de nombreuses stars. Le second est le romancier Paul Loup-Sulitzer. Ils habitent le même immeuble et Sulitzer accuse son voisin d'avoir violenté celle qui est à la fois son agent et sa compagne, Supriya Rathoar. Hakem rétorque que c'est lui la victime, et dit avoir été mordu par Mme Rathoar. Les deux ont déposé plainte. La justice tranchera.
Au départ de ce triste et banal conflit de voisinage, il y aurait une histoire... d'argent ! Les deux anciennes gloires entretenaient a priori de bonnes relations. "Je poussais son fauteuil, je faisais sa plomberie...", explique Alain Hakem à Nice Matin. Jusqu'à ce qu'un dégât des eaux provoqué par le jacuzzi du résidant de l'immeuble ne vienne refroidir leur relation. D'après Sulitzer, avant cet incident, le pianiste venait régulièrement lui réclamer de l'argent. Faux réplique le musicien qui explique qu'à l'occasion du litige survenu lors du dégât des eaux, il a présenté à Sulitzer un ami huissier et que le romancier ne l'aurait jamais payé. Qui dit vrai ? Là encore, difficile de le savoir, reste que ce n'est sans doute pas un hasard si la brouille a pour origine un motif financier. Et pour cause, les finances de Paul Loup Sulitzer sont au plus bas, et ce depuis près de 20 ans.
"Je suis ruiné !" La première fois qu'il clame son malheur, c'est en septembre 2005 dans les colonnes du Parisien. Encore très amoindri par l'AVC dont il a été victime l'année précédente celui qui connaîtra d'autres soucis graves par la suite, doit alors affronter une nouvelle épreuve, un divorce houleux avec son ex épouse, Delphine Jacobson. Une femme qu'il avait épousée en 1993.
C'était le temps de sa grandeur. De toutes les réussites. Le mariage avait été célébré par Jacques Chirac, alors maire de Paris. Johnny Hallyday et Line Renaud assistaient à la cérémonie. À ce moment-là cela fait déjà 15 ans que Sulitzer est au sommet de sa gloire. Il y a été propulsé en 1980 avec la parution de son premier livre intitulé... Money, tout un symbole. L'ouvrage sera vendu à 2,5 millions d'exemplaires, traduit dans 43 langues et lui rapportera près de 5 millions d'euros. Dès lors, chaque nouveau Sulitzer, qui narre les aventures de son héros Franz Cimballi, un homme qui a été dépouillé de la fortune qu'il a reçue en héritage, sera un best seller.
L'auteur est un homme riche qui roule dans une Ferrari dont on ne compte que 330 exemplaires, possède plusieurs appartements ou lance un journal économique baptisé Savoir s'enrichir. "On vous voyait alors dans toutes les soirées...", lui rappellent nos confrères belges de la Dernière Heure en 2012. "Oui, leur répond le romancier, car j'habitais St-Tropez et que lorsque vous êtes un écrivain connu, vous rencontrez forcément des gens célèbres. Alain Delon, Belmondo ou Johnny ont habité chez moi. Et Eddie Barclay était un ami. Ses soirées étaient inégalables !" Hélas, les ennuis ne vont pas tarder.
En 2000, il est mis en examen dans l'affaire des ventes d'armes à l'Angola. Un boulet qu'il traînera une décennie entière et pour lequel il écopera de 15 mois de prison avec sursis et 100 000 euros d'amende "J'ai été dix ans sous contrôle judiciaire, on m'a pris mon passeport. Ma carrière de conseiller financier international a été ruinée, et j'ai fait deux comas", déclarait-il en 2011 à l'issue de l'affaire, rappelant qu'en 2009 il n'avait pas fait appel, parce qu'il "n'avait pas d'argent".
Et pour cause, entre temps, sa femme Delphine, la mère de ses deux enfants James-Robert et Jacques-Edouard a demandé le divorce. Et cela ne se passe pas bien. Lors de la rupture, l'auteur affirme que sa femme lui a "volé sa fortune". En jeu, plus de 6 millions d'euros cachés initialement aux Bahamas puis transférés sur un compte canadien par Delphine Sulitzer. Un transfert légal, estimera la justice canadienne qui tranchera en estimant que l'argent appartient désormais aux deux enfants du couple.
La guerre entre les deux anciens amants aura un autre enjeu : un appartement de 350 m2 avenue Henri-Martin, dans le XVIe arrondissement de Paris. Au final, le bien sera vendu aux enchères 2,5 millions d'euros en 2005 et le mobilier sera saisi.
Un divorce ruineux. Rarement expression aura pris autant son sens. L'avocate de Paul-Loup Sulitzer explique à ce même moment à nos confrères du Parisien que son client est "à la rue", qu'il a dû quitter un duplex près de l'Étoile, que sa société a déposé le bilan, qu'il a dû libérer des bureaux qu'il occupait rue du Faubourg-Saint-Honoré. Et pour ne rien arranger, qu'il doit plusieurs millions d'euros au fisc...
Un malheur n'arrivant jamais seul, l'homme était en effet aussi poursuivi par les impôts français et sera condamné en cette même année 2005, celle de toutes les déconvenues, à 6 mois de prison avec sursis.
Autant de mésaventures dont il ne s'est jamais remis. En 2012, à des confrères belges, il se redisait ruiné et rappelant qu'il avait été multimillionnaire, il ironisait : "Mais comparé à un Afghan, ça va. L'argent n'a jamais été une fin pour moi mais un moyen. Je n'ai jamais été bling-bling. L'argent est trop dur à gagner pour le jeter par la fenêtre. Ce qui est important, c'est la santé, ma famille, mes amis."
Comment va-t-il depuis ? Pas beaucoup mieux. Même s'il s'accorde encore des sorties dignes d'un jet-setteur, comme lorsqu'il paraît au festival de Cannes avec sa nouvelle compagne, il n'en reste pas moins sans le sou. Il n'en fait pas mystère, et le répète à longueur d'interview. Comme dans la dernière, qu'il accordait en avril 2023 à Jordan De Luxe.
Il lançait alors le fait que son seul divorce lui avait coûté 20 millions d'euros et qu'en tout, il en avait perdu 50, passant de "milliardaire", à la pauvreté. À l'Obs, en 2018, révélant qu'il n'avait plus que 1500 euros de retraite il avait dressé ce tableau catastrophique : "J'ai bouffé mes réserves. Une fois mes réserves épuisées, j'ai vécu sans fric. Avant, je gagnais jusqu'à 200 000 euros par mois. Net. (...) Avant, je vivais dans un palais italien de 450 mètres carrés, rue de Varenne, avec des tableaux Art nouveau et des sculptures de Carpeaux. J'avais ma villa à Saint-Tropez, avec vue sur la plage de Pampelonne. Plein sud. Ah, j'ai eu aussi un ranch en Arizona, mais bon, j'y allais jamais."
Dans un appartement de Nice, celui qui se baignait jadis dans des piscines remplies de billets subit désormais le dégât des eaux d'un voisin propriétaire d'un jacuzzi. Pour Sulitzer, pas de doute, la roue a mal tourné.