Dans les années 90, TF1 était d'utilité publique avec son émission Perdu de vue. Jacques Pradel animait ce prime-time permettant de solliciter des appels à témoins afin de résoudre des cas de disparitions avant qu'ils ne dégénèrent de façon dramatique.
Une émission qui est morte en 1997 car "trop racoleuse" pour la Une. Mais aujourd'hui, ce type d'émissions diffusé à une heure de grande écoute ne pourrait-elle pas aider la police à résoudre des enquêtes ? Notamment dans l'affaire des jumelles suisses portées disparues ? Le magazine Télé Star ouvre le débat dans son édition du jour...
Une émission d'utilité publique...
L'utilité des médias ne peut pas être éludée dans les cas de disparitions. Olivier Pedro José, porte-parole du ministre de la justice, explique dans Télé Star que la force du plan Amber (Alerte Enlèvement) tire toute sa force de la large diffusion sur les médias : "Nous avons fait appel aux médias neuf fois depuis 2006 pour relayer des signalements de mineurs disparus. Les dix enfants ont été retrouvés, soit une efficacité de 100 %".
Les principales chaînes de télévision et les stations de radio sont signataires de la convention Alerte Enlèvement et s'engagent donc à avertir leurs auditeurs au cours d'une courte annonce régulièrement répétée à l'antenne lors des premières heures de la disparition. Mais, si l'initiative se déroulait en plein prime-time... ne serait-elle pas plus efficace ?
Patrick Meney, directeur adjoint de France-Soir et ancien co-producteur de Perdu de vue et Témoin n°1, croit au retour de l'émission comme il l'explique dans Télé Star : "Ce serait légitime et utile. En prime time, pour être efficace. Un appel à témoins diffusé peut éviter à un policier un an de porte à porte. Et dans ces affaires, le temps c'est tout".
La puissance des médias peut inévitablement aider la police grâce à sa large diffusion. Mais... au point d'en faire une émission en prime-time ? Non, pour Dominique Rizet, co-présentateur de Faites entrer l'accusé sur France 2.
... ou juste une quête du sensationnalisme ?
Dans Télé Star, Rizet met en exergue un risque non négligeable du retour de ce genre d'émission. Bien qu'utile, un tel programme risque pourtant vite de virer au sordide : "Pour alimenter régulièrement une émission pareille, en prime time, il faut forcément racoler. Raconter des histoires sordides entre deux appels à témoin. Du coup, l'émission perd en crédibilité et donc en efficacité." S'il est sceptique sur une diffusion régulière en prime-time, il est en revanche en adéquation avec la volonté de faire participer encore plus activement les médias "mais sur un format court et non récurrent". Rizet propose : "Entre la fin du JT et la météo, une sorte d'Alerte Enlèvement qui s'étendrait à un plus grand nombre de disparitions".
Le risque de voir l'émission sombrer dans le glauque n'est pas qu'un fantasme puisque le cap a été passé en Italie, en octobre dernier, dans l'émission Chi l'ha visto (l'équivalent de notre Perdu de vue), diffusé toutes les semaines. Une mère de famille a appris en direct que sa fille avait été violée puis tuée par son oncle. Un moment horrible... qui a permis d'augmenter les audiences tout en choquant ces Italiens devant leur écran.
Pradel s'était alors manifesté au moment de ce scandale et s'était offusqué : "C'est épouvantable. Je n'ai jamais entendu parler d'une révélation pareille en direct. C'est une dérive extrêmement grave. Ceux qui ont fait ça sont indignes du métier. Dans Perdu de vue, en cas de décès, on ne le révélait jamais à l'antenne devant un proche. C'était hors caméra. La personne humaine se respecte."
Tout aussi choqué, Rachid Arhab (sage du CSA) avait pourtant relativisé l'émergence d'un tel risque en France : "Il m'étonnerait qu'en France une chaîne franchisse ces limites. Le CSA ne le tolèrerait pas. Les chaînes ont des conventions qui leur imposent le respect de la dignité humaine. Depuis cet été, nous menons une réflexion sur la télé réalité. Nous avons constaté des tendances négatives mais pas de dérapages aussi graves..."
A l'heure où le CSA intervient déjà pour la télé réalité, le retour de Perdu de vue ne peut se faire sans une grande discussion des limites.
Allyson Jouin-Claude