Sylvia Roth : Au plus fort du scandale d'Etat, la veuve Wildenstein est morte...

Au plus fort de son bras de fer autour d'un héritage colossal possiblement "dissimulé" contre les consorts Wildenstein, et de l'affaire d'Etat qui s'ensuit désormais, Sylvia Roth, la veuve du fameux collectionneur d'art Daniel Wildenstein, l'a rejoint dans l'au-delà.

Agée de 77 ans, Sylvia Roth vient de perdre un autre de ses combats : celui qu'elle menait depuis plusieurs mois contre le cancer. Elle est décédée dans la nuit de vendredi à samedi, à Paris.

Sa disparition, outre le fait qu'elle entraîne dans le néant un regard sur feu Daniel Wildenstein, pose la question de l'avenir de la procédure qu'elle avait engagée contre les deux fils de son défunt mari (nés d'une précédente relation), bataillant pour faire reconnaître par la justice qu'elle avait été spoliée de son héritage. "Ils m'ont volée, et maintenant ils attendent que je meure", pestait Sylvia Roth dans une interview accordée plus tôt cette année au JDD. Une accusation qui semble, aujourd'hui, avoir été prémonitoire. Avait-elle alors une connaissance précise de sa condition ? Savait-elle ses jours comptés ? Avait-elle pris des dispositions pour que quelqu'un poursuive le combat judiciaire auquel elle mettait la dernière énergie ? Après avoir obtenu l'ouverture d'une information judiciaire l'été dernier pour "abus de confiance" (information élargie depuis), elle avait motivé, déposant en octobre une plainte contre X pour corruption active et passive et trafic d'influence, l'ouverture d'une enquête préliminaire.

L'affaire de famille sans issue ?

Le bras de fer secoue les gazettes mondaines depuis des années, et a explosé sur le devant de la scène médiatique en 2010, simultanément et similairement à l'affaire Bettencourt : à la mort, en 2001, de Daniel Wildenstein, éminent descendant d'une famille de marchands d'art à la tête d'une fortune colossale, ce sont ses deux fils nés d'un premier mariage, Alec (décédé en 2008) et Guy, qui ont pris en main les affaires familiales. Sylvia Roth se plaignait d'avoir été mise à l'écart (les fils lui ont fait croire que son défunt mari avait contracté des dettes dangereuses pour l'inciter à renoncer à l'héritage), ne se voyant allouer qu'une rente annuelle de 400 000 euros et un bel appartement avec vue sur le bois de Boulogne. Quasi anecdotique à l'échelle du patrimoine légué par le défunt, estimé à près de 4 milliards d'euros (une fortune en partie composée de toiles de maîtres, mais également d'un ranch au Kenya, d'un îlot aux Iles Vierges...). Sylvia Roth avait décidé d'attaquer en justice, dénonçant l'existence de "trusts hébergés dans des paradis fiscaux (...) qui abritent des biens colossaux qui n'ont pas été déclarés dans la succession de Daniel Wildenstein", et réclamant 50 millions d'euros en réparation du préjudice moral et matériel. Déboutée par la cour d'appel et même condamnée, au titre de "procédure abusive", à verser 175 000 euros aux héritiers Wildenstein, Sylvia Wildenstein était loin de se laisser abattre et avait aussitôt contre-attaqué, formulant en juillet dernier une plainte avec constitution de partie civile pour "abus de confiance" déposée auprès du pôle financier de Paris. Une plainte qui déboucha sur l'ouverture d'une information judiciaire, soutenue notamment par le groupe PS dans l'hémicycle, lequel avait interpellé l'Assemblée Nationale concernant ce dossier, dénonçant la cécité volontaire des services concernés quant à "l'existence de sociétés écrans" et pointant les accointances de Guy Wildenstein avec l'UMP. Le nom d'Eric Woerth, alors dans l'oeil du cyclone de l'affaire Bettencourt - qui présente effectivement un certain nombre de similitudes -, surgissait parallèlement dans cet imbroglio aussi.

L'affaire d'Etat est lancée...

Il s'agissait là, avec cette ouverture d'une information judiciaire confiée au juge Guillaume Daïeff, d'une victoire importante pour Sylvia Roth, qui avait dénoncé des trusts (Davidtrust, Deltatrust, Sonstrust) aux Iles Caïman et à Guernesey - déjà, en 2008, la cour d'appel avait elle-même mentionné "l'évasion du patrimoine [de M. Wildenstein] dans des sociétés étrangères et des trusts".

Fin octobre, l'AFP révélait que le parquet de Paris avait ouvert une enquête préliminaire, confiée à la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE), suite à une plainte contre X pour corruption active et passive et trafic d'influence déposée par Sylvia Roth. L'enquête a été récemment élargie à des faits présumés de blanchiment d'argent et recel et organisation frauduleuse d'insolvabilité.

De la même manière que l'affaire Bettencourt, l'affaire Wildenstein, de dispute familiale, s'est doublée d'un volet "public", particulièrement encombrant pour la majorité présidentielle. Il y a le fait qu'Eric Woerth (à l'époque ministre du Budget et des Comptes Publics - évincé en novembre 2010 du nouveau gouvernement Fillon) et François Baroin (actuel ministre du Budget, confirmé dans ce portefeuille dans le remaniement) auraient reçu de Sylvia Roth des courriers les alertant de cette possible évasion fiscale. Des alertes restées sans effet et sans investigation de la part des hauts fonctionnaires, selon la veuve du milliardaire. La question avait mis l'hémicycle à feu et à sang lors de la séance des questions à l'Assemblée du 6 juillet 2010.

Guy Wildenstein dans le collimateur de la police...

Il y a encore le fait que "Guy Wildenstein est un membre du Premier cercle (le groupe des plus riches donateurs de l'UMP, animé jusqu'en juillet par M. Woerth)" et qu'il "a des appuis" - notons que son père, feu Daniel Wildenstein, était hors des cercles politiques. Guy Wildenstein, qui aurait aidé Eric Woerth à lever des fonds lors de la campagne présidentielle de 2007 et le retrouve occasionnellement du côté des champs de course de Chantilly (commune dont Eric Woerth est maire), a par ailleurs été décoré en 2009 de la Légion d'honneur par Nicolas Sarkozy (qui l'a élevé au rang de... commandeur !), et réélu tout récemment en tant que représentant (UMP) de la circonscription de Washington au sein de l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE).

Sylvia Wildenstein est morte, et celle qui fut la dernière épouse du magnat pédagogue de l'art et turfiste passionné n'aura pas pu reconquérir de son vivant ce qu'elle estimait être son dû. Mais son opiniâtreté, qui a révélé au public des aspects délétères du dossier, lui survit dans les enquêtes dirigées contre Guy Wildenstein, désormais à suivre...