Inconnue il y a encore un an, Timea Bacsinszky est la sensation tennis de ce début d'année. 285e mondiale il y a un an, elle sera lundi prochain au minimum 23e joueuse mondiale. La Suissesse de 25 ans aurait pourtant pu ne pas être là aujourd'hui. Il y a deux ans, elle était prête à renoncer à sa carrière dans le monde de la petite balle jaune pour se consacrer à l'hôtellerie. Un moyen de fuir son père. Un père qu'elle ne nommera jamais et qu'elle préfère appeler "son géniteur"...
De l'hôtellerie aux sommets de la WTA
Vingt et une victoires pour deux défaites depuis le début de l'année. Deux tournois décrochés lors de l'étape mexicaine de la WTA. Et une place de 26e mondiale avant le tournoi d'Indian Wells. Pourtant, Timea Bacsinszky revient de loin. De très loin même, puisqu'il y a deux ans, elle se préparait à un stage dans l'hôtellerie. "Pour moi, c'était fini, je ne jouais plus. J'avais dit à mon copain : 'Bon, ben moi, je vais aller servir des cafés.' Et j'aurais adoré ça", raconte-t-elle dans les colonnes de L'Équipe. Un mail pour s'inscrire aux qualifications de Roland-Garros changera le destin de la Suissesse, qui se prendra en main et décidera de son avenir, loin de ce père qui, selon ses termes, l'a mise "dans une prison".
Géniteur, cage et SOS enfance maltraitée
Depuis ses débuts sur le circuit féminin, Timea Bacsinszky réussit, mais sans être maîtresse de sa carrière. "Ce n'était que la continuité du monde dans lequel on m'avait mise", explique-t-elle. Lucide, elle reconnaît aujourd'hui qu'elle n'était "pas heureuse", qu'elle "se cachai[t] la réalité". Quelle réalité ? "J'ai un père, enfin, un géniteur - je sais que les mots sont violents mais c'est un regard objectif sur la situation - qui m'a mise dans une cage", révèle celle qui décrocha à deux reprises le tournoi des Petits As, sorte de championnat du monde des moins de 14 ans dont les courts ont été foulés par la plupart des grands joueurs. À 3 ans, son père prof de tennis "a vite vu que le projet qu'il n'avait pas réussi avec ses deux autres enfants (d'une mère différente) était possible" avec elle. Sa mère, dentiste, s'occupe de financer le foyer : "Elle ne pouvait pas tout voir, tout savoir."
"Je n'ai pas eu une enfance cool, lâche la jeune femme. Je me souviens qu'il y avait des hot lines pour les enfants pas très bien traités et que ça me démangeait d'appeler." Mais la peur que son père découvre ses appels l'ont toutefois toujours empêchée de composer le numéro... "Je ne me suis jamais fait battre, poursuit Timea Bacsinszky. J'ai reçu des baffes, il m'a tiré les cheveux... Mais c'était surtout psychologique."
"Je n'ai pas eu de père"
Timea Bacsinszky souffre du "syndrome des pushy parents", ces parents ultraprésents qui poussent leurs enfants vers l'excellence, souvent au détriment de ce que ces derniers veulent réellement. Un syndrome plus répandu qu'on ne le croit dans le tennis, à l'image de ce qu'a pu vivre Bernard Tomic avec son père ou encore, dans une moindre mesure, Marion Bartoli avec son père, sans ce sentiment de haine, prégnant chez Timea Bacsinszky. Et pour la jeune femme, les parents ne devraient pas entraîner... "Mon père ne s'occupait jamais de moi, sauf sur le terrain de tennis. S'occuper de son enfant, c'est pas lui lancer une balle. Je n'ai pas eu de père. Je ne le vois plus, je ne lui parle plus et ce sera comme ça jusqu'à la fin. Je n'ai aucun manque, j'ai eu une enfance volée. Une adolescence volée aussi", poursuit-elle dans sa confession à L'Équipe. Le terrain et l'école sont les seuls lieux où elle peut s'évader, échapper à l'emprise de son père. "Il fallait quand même que je gagne le match, sinon il allait me le faire payer", nuance-t-elle...
Ce qui la motive, ce n'est pas tant le plaisir de jouer ou même de gagner, mais bien la peur de perdre et de ce qui lui arriverait alors. À travers sa fille, le père cherche à briller, à devenir connu. À la signature du premier contrat de sponsoring de Timea, il plaque tout pour devenir coach à plein temps. "Le pire moment de ma vie", se souvient-elle. Il s'offre un beau salaire avec l'argent du sponsor et lui paie "un ou deux jeans parce qu'il faut bien donner une carotte à l'âne".
Depuis deux ans maintenant, Timea Bacsinszky travaille avec une psychologue. Pour le résultat que l'on connaît aujourd'hui. "Avec ce que j'ai enduré, les gens qui me connaissent se demandent comment j'ai fait pour ne pas tomber dans la drogue ou dans l'alcool", ajoute la joueuse, défaite cette nuit par Serena Williams en quart de finale d'Indian Wells. "En racontant mon histoire, je me dis que ça peut aider d'autres personnes, révèle-t-elle. Ouvrir les yeux."
Timea Bacsinszky, une confession à lire dans son intégralité dans les pages de L'Équipe du 19 mars 2015