À 60 ans, cap symbolique qu'il atteindra et dépassera ce mercredi 14 mars 2018, et après douze années de règne, le prince Albert II de Monaco se fait fort d'avoir pour la principauté "une vision d'ensemble de l'avenir" et une vitalité à toute épreuve, qui prend sa source dans le fait de rester "perpétuellement dans l'action et le mouvement", ainsi qu'il l'a exposé avec sincérité et bonne humeur à Stéphane Bern à l'occasion d'une interview pour Le Figaro. Mais qu'en sera-t-il dans un futur qu'on lui souhaite aussi lointain que possible ? Quid de la transmission du pouvoir et de la responsabilité des destinées de la principauté ? En ami de confiance, le journaliste spécialiste du gotha s'est fait un devoir de lui poser la question...
Il faut que Jacques soit prêt.
Ce sujet sensible (d'une éventuelle abdication), à plus forte raison dans un pays où la tradition patriarcale et l'attachement à la dynastie Grimaldi sont aussi profondément enracinés, le prince Albert l'avait évoqué en début d'année, invité en direct de Cyril Viguier dans Territoires d'info sur la chaîne Public Sénat. "Je pense que tout le monde comprendra si je vois que je n'arrive plus, considérait alors avec prudence mais transparence le souverain, qui a depuis le 10 décembre 2014 un héritier en la personne du prince héréditaire Jacques, l'un des deux enfants que son épouse la princesse Charlene lui a donnés – l'autre étant la princesse Gabriella, soeur jumelle de Jacques. Dieu me prête vie, si j'ai une longue vie, il y aura fatalement un moment... [Passer la main], ça n'est pas inenvisageable. C'est prévu sans être prévu dans les règles et dans les lois, mais je pense que de nos jours, vu l'augmentation de l'espérance de vie, il arrive fatalement un moment où on a du mal à exercer ces fonctions-là. Et donc, ce n'est pas inenvisageable de considérer cela."
Quelques semaines plus tard, Stéphane Bern, à son tour, demande au prince Albert, qui voit ses enfants comme "[s]a plus grande satisfaction", s'il s'imagine "passer un jour le flambeau au prince Jacques, marquis des Baux" : "J'ai glissé peut-être maladroitement dans une interview télévisée que je pourrais abdiquer en faveur de mon fils, alors tout le monde s'est précipité là-dessus en disant : 'Ah il va partir'... Rien ne presse", commence par tempérer l'intéressé, en réaction aux conclusions hâtives que certains ont pu tirer de ses précédentes déclarations – qui étaient ses premières sur le sujet. Et de développer, pondéré, avec la bienveillance du père de famille et l'expérience de celui qui sait ce qu'il en est de grandir dans la lumière médiatique : "Il faut que Jacques soit prêt et je ne veux pas non plus lui gâcher sa jeunesse. C'est vraiment un dialogue que j'aurai avec lui, mais je ne veux pas rester non plus au-delà d'un certain temps. Quand ce temps sera venu, je saurai m'effacer." Car Albert sait aussi combien il peut être cruel de devoir assumer l'exercice du pouvoir dans des circonstances douloureuses : dans son cas, c'est la mort de son père le prince Rainier III qui a imposé brutalement son avènement...
Ils sentent qu'il y a quelque chose d'un peu différent...
Tout est une question de timing et d'équilibre. D'ici à ce que ce point soit atteint, le prince héréditaire, actuellement âgé de 3 ans, peut compter sur son père pour lui garantir la meilleure expérience de l'enfance possible. À Cyril Viguier, le prince Albert avait d'ailleurs détaillé la conception en vertu de laquelle son épouse la princesse Charlene et lui-même accompagneront progressivement les jumeaux vers leur destin : "Nous allons veiller à ce qu'il n'y ait pas cette surexposition. On essaye de les associer petit à petit, même s'ils sont encore très, très jeunes, à différentes manifestations. (...) Il faut faire ça avec parcimonie, les amener petit à petit vers le public, qu'ils soient à l'aise avec plusieurs personnes. Je ne suis pas inquiet, il va falloir bien sûr les protéger et il va falloir bien sûr qu'ils aient une bonne éducation, en premier lieu à Monaco, mais aussi en étant exposés petit à petit à plusieurs événements publics, pour qu'ils ne soient plus surpris quand ils seront en âge de prendre certaines responsabilités."
Rien ne presse, certes, mais le temps file et, déjà, cette méthode précautionneuse porte de premiers fruits : "Comme nous les avons déjà emmenés dans différentes manifestations officielles, je crois qu'ils sentent qu'il y a quand même quelque chose d'un petit peu particulier dans leur vie d'enfants...", observe le souverain monégasque. Au mois de janvier, Jacques et Gabriella tenaient en effet leur rang en participant pour la première fois aux impressionnantes célébrations de la Sainte Dévote. Quant à la princesse Charlene, elle fait en sorte, en partageant occasionnellement sur Instagram les images de quelques tranches de vie enfantine des jumeaux, de cultiver leurs liens avec le monde et avec leurs compatriotes. Bientôt, ils seront eux aussi dépositaires de ces liens forts entre les Monégasques et les Grimaldi que le prince Albert chérit.
À noter que bien d'autres confidences du prince Albert II de Monaco seront à découvrir dans un livre d'entretiens accordés aux journalistes Isabelle Rivère et Peter Mikelbank, à paraître le 14 mars 2018 aux éditions Fayard.