Des enfants de Reza Shah Pahlavi, Shah d'Iran de 1925 à 1941, il ne reste désormais plus qu'un seul survivant, le prince Gholamreza (92 ans), qui publiait en 2005 un témoignage vibrant sur sa dynastie et son pays, Mon père, mon frère, les Shahs d'Iran. Sa demi-soeur la princesse Ashraf Pahlavi, jumelle du prince Mohammad Reza, dernier Shah disparu en 1980, s'est éteinte le 7 janvier 2016 à l'âge - le plus élevé des membres de la famille - de 96 ans. La princesse iranienne est morte de vieillesse chez elle, dans son sommeil, selon une annonce faite par son conseiller Robert F. Armao au New York Times. Une annonce qui met un point final à un destin de femme exceptionnel.
Née le 26 octobre 1919 à Téhéran cinq heures après Mohammad Reza, quatrième des onze enfants que le prince Reza eut de quatre épouses différentes, Ashraf Pahlavi fut la cheville ouvrière non seulement de la prise de pouvoir de son frère jumeau, mais aussi de son exercice : en 1953, la princesse, qui avait l'oreille de Mohammad Reza, facilita l'exécution et le succès de l'Opération Ajax menée conjointement par la CIA et le MI6 lors du coup d'État d'août 1953 qui restaura son jumeau - roi depuis 1941 (année où leur père avait été déposé suite à l'occupation anglo-soviétique) d'un pays sous influence et brièvement exilé - sur le trône, jusqu'à la Révolution islamique de 1979. S'il est vraisemblable que le coup d'État pour renverser le Premier ministre Mossadegh sur fond de crise des intérêts pétroliers aurait de toute manière été enclenché par les puissances occidentales, l'approbation de l'opération par le Shah Mohammad Reza, réticent, n'aurait sans doute pas été obtenue sans l'intervention de la princesse Ashraf, qui a toujours eu beaucoup d'influence sur lui - au point d'être considérée comme la force agissante dans son ombre.
Exilée par Mossadegh, Ashraf, Iranienne moderne à l'instar de sa mère Tadj ol-Molouk et sa soeur Shams, avait été contactée par les services secrets américains au début de l'année 1953 pour solliciter son intervention auprès de Mohammad Reza. "Elle profitait de la vie dans les casinos et les boîtes de nuit en France quand l'un des meilleurs agents iraniens de Roosevelt, Assadollah Rashidian, lui a rendu visite, raconte l'historien Stephen Kinzer dans son livre All the Shah's Men. Il l'a trouvée réticente. Alors, le lendemain, une délégation d'agents américains et britanniques est venue formuler l'invitation dans des termes plus fermes. Le chef de la délégation, un agent britannique chevronné nommé Norman Darbyshire, avait eu la bonne idée d'apporter un manteau en vison et un paquet d'argent. Lorsque Ashraf a vu ces émoluments, s'est plus tard souvenu Darbyshire, 'son regard s'est illuminé et sa résistance s'est évanouie.'" En 1980, dans ses mémoires Faces in a Mirror: Memoirs from Exile, la princesse avait admis qu'on lui avait offert un chèque en blanc pour qu'elle rentre d'exil, mais assurait être retournée en Iran de son propre chef et en refusant l'argent.
Sous le règne de son frère jumeau, marqué par une modernisation accélérée et un fort développement économique, Ashraf Pahlavi s'imposa à la fois comme la conseillère officieuse du Shah, la seule personne capable de le faire changer d'avis ou de lui faire partager sa vision, et comme une puissante avocate de la condition féminine, soucieuse notamment des questions d'accès à l'alimentation, l'éducation et les soins. Au fil des ans, elle a notamment assumé plusieurs missions sous l'égide des Nations unies, mais s'est également trouvée en porte-à-faux au regard de la situation des nombreuses femmes prisonnières politiques dans son pays - un état de fait qu'elle avait par la suite admis dans ses mémoires.
Son patriotisme et son engagement social ont été rappelés avec émotion par son neveu le prince héritier Reza Pahlavi, fils aîné du défunt Mohammad Reza et de Farah Diba, sur sa page Facebook.
Rescapée d'une tentative d'assassinat (sa Rolls avait été mitraillée) en 1976 lors d'un séjour dans sa propriété de la Côte d'Azur, la princesse Ashraf, de nouveau contrainte à l'exil suite à la révolution de 1979, avait vécu par la suite entre les États-Unis, la France et Monaco, se consacrant à ses activités philanthropiques et rédigeant deux autres autobiographies, Jamais résignée (1981) et Time for Truth (1995). Elle dépensa également une énergie non négligeable à se défendre contre les attaques ("Mes détracteurs m'ont accusée d'être une trafiquante, une espionne, liée à la mafia, une fois même une narcotrafiquante", déclara-t-elle), notamment au sujet de son patrimoine, de la gestion de ses associations et de la fortune familiale.
Ashraf Pahlavi a été mariée trois fois et a eu autant d'enfants, de deux pères différents. En 1937, alors qu'elle avait 18 ans, on lui fit épouser Mirza Khan Gazam, issu d'une famille qui soutenait son père, dont elle divorça en 1942 après avoir eu un fils avec lui, le prince Shahram. Elle a ensuite été l'épouse, de 1944 à 1960, d'Ahmed Chafik, père de ses deux autres enfants, le prince Shahriar et la princesse Azadeh. En 1960, elle épousait en troisièmes noces, à l'ambassade d'Iran à Paris, Mehdi Bushehri, dont elle se sépara par consentement mutuel. La princesse Ashraf, qui confessa en 1980, dans une interview accordée au New York Times, "n'avoir jamais été une bonne mère" et "n'avoir pas beaucoup vu ses enfants à cause de son style de vie", a eu la douleur de perdre ces deux derniers - Shariar a été assassiné à 34 ans à Paris en 1979, et Azadeh est décédée à 60 ans d'une leucémie, en 2011.
Dans son autobiographie parue en 1980 et sur son site Internet, la princesse Ashraf, qui était complexée par son physique (son visage, sa peau, sa taille) étant plus jeune, raconte : "Il y a deux décades, les journalistes français m'ont surnommée "La Panthère noire", et je dois avouer que j'ai tendance à aimer ce nom. À certains égards, il me correspond. Comme la panthère, je suis d'une nature turbulente, rebelle, pleine d'assurance - un peu à l'instar de ce que le professeur Victoria Penziner expliqua dans son article de recherches Elle aurait dû être un homme, à l'Université de Chicago. Souvent, ce n'est qu'au prix d'efforts éprouvants que je parviens à préserver ma discrétion et mon calme en public. Alors qu'en vérité, j'aimerais parfois être armée des griffes de la panthère pour attaquer les ennemis de mon pays."