Une semaine après la sortie en kiosques de son dernier numéro, dont Bertrand Cantat, coupable d'avoir tué Marie Trintignant, fait la couverture, Les Inrockuptibles s'adresse enfin à leurs "lecteurs" et s'explique. Devant l'indignation de personnalités politiques, de journalistes, d'artistes et de citoyens, l'hebdomadaire publie un texte sous forme d'examen de conscience. Si les Inrocks se justifie d'avoir mené une interview de l'artiste, le magazine regrette de l'avoir mis en avant en couverture.
"Face à certaines réactions, qui allaient du désarroi à la haine, nous avons éprouvé aux Inrockuptibles le besoin de nous rassembler, de parler, de débattre. Ensemble, en réunion générale et en plus petits comités, nous avons questionné cette couverture tout au long des jours qui se sont écoulés, commence cette tribune signé par toute la rédaction. De ces discussions nécessaires, qui furent animées et constructives, nous avons conclu plusieurs choses. D'abord que nous avions, et ce n'était pas là notre intention, ravivé une souffrance. (...) la souffrance qu'a pu engendrer cette couverture nous a profondément touchés. Les réactions qui ont suivi, celles de lecteurs fidèles comme occasionnels, d'artistes dont nous avons toujours suivi le travail, nous ont bouleversés. Il était impossible de ne pas en tenir compte." Sans doute aurait-il fallu se réunir et débattre avant la sortie du magazine...
Pour autant, la rédaction estime avoir fait son travail en donnant la parole à Cantat pour la sortie de son premier album solo, ajoutant que le débat demeure complexe : "Cantat avait-t-il le droit, après avoir tué Marie Trintignant de ses poings, à une vie publique ? Comment dissocier l'homme de l'artiste, et faut-il le faire ?" Selon nos confrères, cette longue interview avait pour objectif de répondre à cette question : "Pourquoi et comment faire de la musique quand on a tué une femme ?" Beaucoup y ont cependant vu de la compassion et de la complaisance envers Cantat dont la carrière est intimement liée au magazine : "L'histoire de Bertrand Cantat fait partie de celle des Inrockuptibles, depuis les années 1980. Noir Désir a été l'un des groupes qui ont construit l'identité de ce journal, à tel point que nous lui avions confié, en 1997, les rênes d'un numéro dont il était rédacteur en chef invité. Et c'est pour cela que nous nous sommes sentis légitimes, en 2013 déjà, à redonner la parole à Bertrand Cantat pour la toute première fois."
Le mettre en couverture était contestable
Les Inrockuptibles reconnaît avoir tiré une leçon de cette affaire : "Tout cela nous engage et nous engagera à faire toujours preuve de vigilance dans notre façon de traiter et de mettre en scène les sujets que nous estimons importants. Pour un magazine comme Les Inrockuptibles, le retour de Bertrand Cantat à la musique en fut un. Le mettre en couverture était contestable. A ceux qui se sont sentis blessés, nous exprimons nos sincères regrets."
Le magazine promet de "continuer chaque jour le travail de déconstruction d'une domination masculine qui écrase les femmes, comme le prouve l'enquête que nous consacrons cette semaine au milieu du cinéma après la révélation de l'affaire Weinstein". "A relayer les idées féministes comme cela a toujours été le cas. Il était important pour nous de vous dire cela." Cette semaine, le magazine ELLE répond aux Inrockuptibles dans un édito scotchant illustré d'une magnifique photo de Marie Trintignant.