Cela fait déjà six ans que Charles Aznavour a quitté définitivement la scène. Le 1er octobre 2018, à Mouriès, commune des Alpilles située au sud d'Avignon, le chanteur était retrouvé inerte dans sa salle de bain. L'autopsie a conclu à un problème cardiovasculaire.
Rien ne laissait présager une disparition aussi brutale. La veille, l'interprète de Ma Bohème, âgé de 94 ans, prenait un thé accompagné d'une part de tropézienne avec Michel Leeb. Le jour précédent, il déjeunait avec Jean-Paul Belmondo. Il arrivait alors à peine d'un séjour au Japon où il s'était produit dans deux concerts, à Tokyo et Osaka.
Dans une situation similaire, certains, se voyant déjà devenir centenaires, à l'instar d'un Pierre Cardin, préféraient ne pas penser à l'avenir, occasionnant lors de leur disparition d'inextricables problèmes successoraux. D'autres, comme Johnny Hallyday, avaient eu le temps d'envisager la question, mais en l'occurrence, les dernières volontés du rockeur avaient déclenché une terrible guerre d'héritage qu'il aura fallu des années pour régler. Rien de tout ça chez les Aznavour, où la situation familiale compliquée aurait pourtant pu occasionner bien des batailles.
Charles Aznavour a eu trois épouses dans sa vie. "La première fois, j'étais trop jeune. La deuxième fois, j'étais trop bête. La troisième fois, j'ai épousé une femme qui vient d'une culture différente, plus stricte. J'ai appris des choses, la tolérance, notamment. [...] Elle m'a régulé, m'a mis sur un bon rail", avait-il confié à Télé 7 Jours. À 22 ans, la star avait épousé Micheline Ruguel Formentin, avec qui il a eu deux enfants : Seda, aujourd'hui âgée de 77 ans, et Charles, 72 ans. En 1955, il est ensuite tombé amoureux d'Evelyn Plessis, qu'il a épousée peu après. Ensemble, ils ont eu un fils, Patrick, décédé tragiquement d'une overdose à 25 ans. Enfin, en 1967, Aznavour a épousé Ulla Thorsell, une Suédoise avec qui il vivra jusqu'à la fin de sa vie. Ils ont eu trois enfants : Katia, aujourd'hui âgée de 56 ans, Mischa, 54 ans, et Nicolas, 48 ans.
Trois femmes, cinq enfants: des familles se déchirent pour moins... Mais bien que sa forme ait été insolente eu égard à son âge avancé, le grand Charles était un homme prévoyant. Issu d'une famille particulièrement modeste, malgré des dépenses parfois inattendues, il avait pris soin de gérer en bon père de famille les gains qu'il avait amassés durant ses 70 ans de carrière !
Et des gains, il y en eut. En octobre 2011, alors qu'il se produisait à l'Olympia, certains avaient trouvé le prix des places, compris entre 75 et 200 euros, un peu trop élevé. Il s'en était expliqué dans Le Parisien : " Je peux venir sur scène avec un seul pianiste, mais là j'ai beaucoup de musiciens. Tout augmente. La France voudrait que tout soit gratuit. Eh bien non ! Les gens ne travaillent pas gratuitement, les artistes non plus. Et ce n'est pas vrai qu'ils font des fortunes."
Tous les artistes, en effet, ne font pas des fortunes, pour reprendre son expression. Lui, si. Un chiffre la résumait, souvent repris et jamais démenti : 145 millions d'euros ! Une somme phénoménale que l'artiste, depuis longtemps en haut de l'affiche, avait placée astucieusement...
Quelques mois avant sa mort, une enquête menée conjointement par Mediapart et le quotidien belge Le Soir avait jeté un éclairage inédit sur les finances du chanteur, et sur sa façon de les gérer. Nos confrères expliquaient notamment qu'une décennie avant sa disparition, en 2007 exactement, Aznavour avait transféré deux sociétés françaises gestionnaires de ses droits d'auteur vers une nouvelle société basée au Luxembourg et baptisée Abricot SA, dont il était l'unique actionnaire. L'opération, parfaitement légale, avait pour avantage d'échapper au fisc français, avec qui il avait eu par le passé une relation chaotique. Sachant que dans le même temps, il résidait en Suisse, ses revenus bénéficiaient de conditions fiscales très favorables.
En 2016, tout change... Par le jeu d'une augmentation de capital, Abricot devient une copropriété. Les heureux bénéficiaires sont Charles Aznavour, bien sûr, mais aussi son épouse, Ulla, et deux de ses enfants, l'aînée, Seda Aznavour, 71 ans, et le benjamin, Nicolas, 41 ans. Cette opération rend désormais éligible aux bénéfices de sa société une partie de la famille de la légende de la chanson. Et elle facilite déjà la succession qui se fera dans le cadre du droit luxembourgeois.
Cette succession, Charles Aznavour y pensait depuis longtemps. Affirmant avoir "tout mis en place", il s'en ouvrait en septembre 2018, quelques semaines avant sa mort dans l'émission Sept à Huit : " Ça fait trente ans que j'ai fait mon testament, avait-il expliqué. Je ne veux pas qu'on se batte pour une cuillère ou une fourchette, c'est ridicule et c'est ce qui se passe souvent. " Lors de ce même entretien, il avait affirmé : "Il restera ce qu'il restera. J'aimerais bien qu'il reste beaucoup, parce que ça fera des droits d'auteur à mes petits-enfants."
Son souhait a visiblement été exaucé... Il n'a pas laissé ses héritiers dépourvus. Si c'est désormais son fils Nicolas qui cogère l'héritage culturel et financier avec Katia, Mischa et leur demi-soeur Seda, tous ont pu toucher leur dû. En avril 2023, Mischa le confirmait dans les pages de Gala. "Tout se décide en commun, confiait-il à propos de l'héritage artistique. Nicolas reçoit les demandes en tout genre. Moi, je fais pas mal de relations publiques, les interviews, parce que je suis le moins timide. Et Katia et son mari sont impliqués dans le projet de film sur mon père." (N.D.L.R. : Monsieur Aznavour, dont la sortie est prévue le 23 octobre). Dans ce même entretien, Mischa, qui est le fils qui lui ressemble le plus, confirmait que son père avait "tout organisé avant son départ. Il souhaitait qu'on n'ait aucun souci." Et le fils de citer en exemple une forêt, du côté de Montfort-l'Amaury, que possédait son père et dont il aurait aimé jouir. Il n'en a pas été question. Le patriarche avait tranché : "Je vais la vendre !"
Un peu plus loin dans cet échange, Mischa concédait que grâce à son père, l'argent n'était pas un problème. "Je peux faire ce qui me plaît, inviter mes amis, aller au restaurant sans réfléchir. Mais je ne prends pas non plus de vols en première, je ne flambe pas. Mon père était comme ça..."
Un an plus tard, en mai dernier, Gala donnait la parole à un autre enfant de la star : Nicolas. Installé en Arménie avec son épouse Kristina. Il y gère la Fondation Aznavour dédiée à des actions culturelles et humanitaires. Lui aussi confirme que leur père avait tout prévu : "Mon père avait bien organisé sa succession. Il nous avait aussi 'lavé le cerveau' depuis l'enfance sur le fait que la famille, c'était important, qu'il fallait qu'on reste unis, qu'on s'entende."
Nicolas souligne l'harmonie qui règne au sein du clan : "Il traitait tous ses enfants de la même façon, il ne nous a jamais mis en concurrence, n'a jamais fait de comparaison." Une règle de vie qui a sans doute guidé ses choix au moment de préparer une succession qui s'est faite dans l'unité, le respect et la paix, autant de valeurs qu'Aznavour avait l'habitude de défendre au quotidien.