Ce n'est plus qu'une question de temps, et Delphine Boël y consacrera encore le temps – et l'énergie – qu'il faudra : après trente années dans la clandestinité, puis quinze dans l'oeil des médias et bientôt trois dans les chroniques judiciaires, la fille illégitime supposée du roi Albert II des Belges ne voit plus d'obstacle se dresser pour entraver son désir de faire reconnaître la paternité de l'ancien souverain.
Début février, la cour constitutionnelle de Bruxelles écartait en effet deux questions préjudicielles soulevées par la partie adverse en novembre 2014 et permettait ainsi à l'artiste plasticienne de 48 ans de poursuivre la procédure engagée en 2013 pour, d'une part, contester la paternité de son père adoptif Jacques Boël – lequel a cessé de s'y opposer et s'est soumis à un test ADN révélant qu'il n'est effectivement pas son père biologique –, et d'autre part, faire reconnaître celle du roi Albert. Fruit adultérin de la longue liaison, de 1966 à 1984, entre sa mère la baronne Sybille de Selys Longchamps, alors mariée (depuis 1962) au riche industriel Jacques Boël (écuyer du roi Albert Ier et très proche de son fils le futur Albert II), et l'époux de la reine Paola, Delphine Boël se bat désormais pour faire tomber un "mur d'incompréhension" : trente ans après que la baronne lui a révélé la vérité à sa majorité, c'est pour elle le moyen de mettre un terme à quinze années de discriminations. "Je ne cherche pas un père", a-t-elle déjà clairement indiqué, pour couper court à toute spéculation sur d'éventuelles motivations vénales.
C'est là que je me suis dit : "Ça suffit"
Dans un entretien accordé à l'incontournable chroniqueur royal belge Patrick Weber (Place Royale sur RTL TVI) pour l'hebdomadaire Gala (numéro 1184 du 17 février 2016), elle revient notamment sur l'incident qui a joué le rôle de déclencheur. Delphine Boël connaissait le secret de sa filiation depuis 1986, mais ce n'est qu'en 1999 que son existence d'enfant caché du roi Albert II de Belgique a été révélée, dans la biographie non autorisée Reine Paola, de la dolce vita à la couronne, publiée par le journaliste flamand Mario Danneels en 1999 à quelques semaines du mariage princier de Philippe et Mathilde de Belgique. "Je vivais à Londres depuis 1976, j'avais plein d'amis. C'était très violent !, se remémore-t-elle. J'ai appelé Albert et je lui ai dit que tout cela était dirigé contre lui et la famille royale. (...) Face aux journalistes (...), j'essayais de le protéger." L'artiste, réputée pour ses sculptures en papier mâché, se résigne alors à se cacher et, "pendant deux ans", refuse d'exposer. Une première expérience de la discrimination.
D'autres suivront, et en particulier un incident bancaire qu'elle a déjà évoqué en 2013 pour justifier sa décision de saisir la justice : "Cette affaire n'est pas un simple litige privé. Elle est devenue publique et politique car le roi Albert est une personnalité publique de haut rang en Belgique. Cette situation a des effets sur ma vie privée et professionnelle qui ne sont pas limités à la Belgique", affirmait alors Delphine Boël, répertoriée "comme une 'Personne Politiquement Exposée' (PPE) par une société américaine et anglaise, appelée World-Check, qui fournit des informations à des banques du monde entier de manière confidentielle". "Un jour, complète-t-elle auprès de Gala, j'ai reçu une lettre m'informant que je devais clôturer mon compte en banque dans les soixante jours. (...) On a dû prendre des avocats. C'est là que je me suis dit "Ça suffit, il faut sortir de cette situation"."
Maman, je suis fière de toi !
En sortir pour éviter d'entretenir un cercle vicieux qui, comme il a porté préjudice à sa mère et à elle-même, pourrait nuire à Joséphine, 12 ans, et Oscar, 7 ans, les enfants qu'elle a eus avec son compagnon l'homme d'affaires James O'Hare : "Crever l'abcès est également important pour l'avenir de mes deux enfants, fait-elle ainsi remarquer à Patrick Weber, venu recueillir ses sentiments du moment dans son atelier, à Bruxelles. Ils comprennent ma démarche, surtout la grande. Quand le procès a été révélé au public, en 2013, je me rappelle que ma fille Joséphine m'a regardée et m'a dit : 'Maman, je suis tellement fière de toi !' Cela m'a beaucoup aidée."
Ce qui l'aide aussi, désormais, à être sereine, c'est de constater qu'elle peut à nouveau croire en la justice : "J'avais l'impression que le monde entier était contre moi. Qu'on me prenait pour une folle. Mais je ne suis pas folle !", se rassure-t-elle. "Les juges nous ont donné raison car il y a un sacré dossier derrière cette affaire", renchérit-elle un peu plus loin en évoquant la "belle histoire" de la baronne et du roi, "très amoureux pendant plus de dix-huit ans". Elle partage d'ailleurs quelques souvenirs des visites "incognito" d'Albert et des retours de sorties nocturnes où, endormie, il la "portait dans l'ascenseur contre lui". Jusqu'à ce que sa mère, "par crainte des rumeurs", choisisse l'exil à Londres.
Aujourd'hui, Delphine Boël est déterminée à aller jusqu'au bout, alors que le roi Albert II de Belgique, terré dans son silence, a coupé toute communication en 2001 et ne répond depuis à aucune de ses sollicitations (une "rupture sans un mot d'explication", déplore sa fille cachée). Il "pensait que tout allait finir par se calmer", dit-elle. Tout en affirmant, "et c'est très dommage", qu'elle ne s'attend ni à un arrangement à l'amiable ni à un coup de fil...