Des mots à l'écran, il y a un grand pas que l'auteur et critique littéraire Frédéric Beigbeder a choisi de franchir. Il a décidé de porter lui-même à l'écran son livre, L'amour dure trois ans. Une oeuvre largement autobiographique et plutôt égocentrique : une aventure donc risquée, mais l'expert en mondanités à la plume aiguisée ne s'est pas découragé. Pour Purepeople.com, il revient sur son travail et se dévoile avec sa franchise pleine d'esprit qui fait sa réputation. Volubile à travers son oeuvre, il ne l'est pas moins lorsqu'il est face à nos questions.
Romantique et cynique
L'amour dure trois ans démarre sur une chanson furieusement romantique, Your Song, reprise par Ellie Goulding. Son film serait-il une pure comédie romantique ? "J'espère que ce n'est pas que cela. Mais j'aime bien le genre, avec des films qui commencent dans le pessimisme comme L'Arnacoeur où Romain Duris est payé pour briser des couples. Le personnage principal Marc Maronnier au début est très cynique, il n'y croit plus non plus." Frédéric Beigbeder rappelle que les premières images de son long métrage sont celles de Charles Bukowski, poète américain provocateur, obscène et génial. On est donc loin des fleurs bleues. "J'ai voulu faire dans le générique ce que je commençais dans le roman," c'est-à-dire les trois phases de l'amour, de la plus naïve à la plus cynique.
L'oeuvre de Frédéric Beigbeder est particulièrement centrée sur l'auteur. Aurait-il pu tenir aussi le premier rôle ? "Je suis pas acteur. J'étais assis et je pouvais être spectateur. Si j'avais joué, je n'aurais pas pu avoir la distance nécessaire." Il choisira donc comme double Gaspard Proust, humoriste cynique et désabusé qui lui rappelle un certain Hugh Grant.
Romantique et exhibitionniste
Révéler aux yeux de tous ses errances sentimentales, Frédéric Beigbeder l'assume entièrement. "C'est de l'exhibition. J'aime bien me foutre à poil, au sens propre comme au figuré [il a posé nu pour Marie Claire ou pour les Galeries Lafayette]. Je fais de la littérature autobiographique. Je m'expose à ce que les gens désapprouvent ma façon de vivre. Je ne sais pas quoi faire d'autres. D'ailleurs j'en parle dans le film, le héros se fout dans la merde avec son livre. Moi-même en ayant écrit L'amour dure trois ans, ça ne m'a pas simplifié ma relation avec les femmes. Dès que je rencontre quelqu'un, 'bam' le compte à rebours commence." Chaque bien-aimée de l'écrivain a compté les jours jusqu'à la troisième année, fatale. Qu'en pense sa nouvelle compagne Lara, avec qui il s'affiche pour la marque de vêtements The Kooples ? L'avenir nous le dira...
Romantique hollywoodien
L'éternel adolescent qu'il prétend être, revendiquant manger des bonbons Haribo, a fait ce film comme un "enfant gâté, capricieux", ajoutant : "Je considère que, de m'avoir permis à mon âge avancé de jouer avec une caméra, c'est sidérant." Un jeu certes, mais l'investissement a été intense : "L'écriture du film m'a pris cinq ans. J'ai changé de producteur, mais il paraît que c'est normal. J'ai laissé tomber quelque fois et puis j'ai eu la chance d'être soutenu par mes producteurs. Ils trouvaient toujours une idée pour me remotiver. Ils ont eu l'idée de m'envoyer quinze jours au Château Marmont [lieu mythique où a d'ailleurs été tourné Somewhere de Sofia Coppola] à Los Angeles pour finir le scénario. J'étais très content, comme un coq en pâte. J'ai fini dans cet hôtel mythique. Me faire miroiter Hollywood, ça m'a inspiré."
En parlant d'Hollywood, et si L'amour dure trois ans s'exportait aux Etats-Unis, quels comédiens choisirait-il ? Pour Marc, il veut un acteur maladroit, timide, déçu, un peu littéraire et cynique évidemment. "James Franco est assez intéressant, il a une vie assez artistique, il a une curiosité." Pour le versant féminin, celui d'Alice, il ferait passer une audition à une comédienne fantasque, insaisissable, drôle, naturelle et sexy. Frédéric Beigbeder est exigeant, il lui faudrait une nouvelle Julia Roberts : "Je suis fan d'une actrice, Emma Stone. Elle est espiègle, avec ses grands yeux de manga. Elle est drôle, intelligente, ça pétille."
Romantique enflammé
Un joli choix pour incarner un personnage qui sied à merveille à Louise Bourgoin, à qui il a écrit le rôle et qu'il a courtisée durant cinq ans. Elle a refusé, jusqu'à ce qu'il lui concocte une personnage avec autant d'épaisseur que de charme. Décidément, il est conquis par la belle Louise, lui faisant à travers ce film une déclaration d'amour : "C'est comme un énorme bouquet de fleurs à cinq millions d'euros." Enflammé, l'écrivain-cinéaste est toujours aussi passionné par la fête, réussissant à allier deux de ses amours, le cinéma comme les festivités. L'un de ses meilleurs souvenirs de tournage était la soirée qu'il a organisée le premier jour : "Ça a décoincé tout le monde, ils ont fraternisé sur la plage."
Heureux réalisateur, prêt à recommencer suivant l'accueil de son film et s'il trouve des gens "assez inconscients pour mettre de l'argent" dans son prochain projet, il ne souhaite pas faire encore une adaptation d'un autre de ses romans : "ça commence à faire gâteux. J'aimerais bien faire un scénario original pour ne pas devenir un type qui radote." La suite de 99 Francs, sous la direction de Jan Kounen et avec l'oscarisable Jean Dujardin, comme le premier volet, se prépare. Frédéric Beigbeder pourrait s'impliquer plus. En attendant, il savoure les bons premiers chiffres de son film. Certes, L'amour dure trois ans ne dépasse pas le Millénium de David Fincher, mais avec moitié moins de copies, la moyenne est réjouissante (plus de 53 000 entrées en France pour son premier jour). Le succès pour Beigbeder ne dure pas, lui, seulement trois ans.
Samya Yakoubaly
L'amour dure trois ans, dans les salles depuis le 18 janvier.
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