"Cela fait longtemps que j'y réfléchis...", dit Ian Thorpe. Longtemps, surtout, qu'il nie avec fermeté être gay. Mais, après des années de rumeurs, de questions et de dénégations, la légende australienne de la natation vient de révéler publiquement, lors d'une interview télévisée, son homosexualité.
"J'avais 16 ans quand on m'a posé cette question pour la première fois..."
2014 était jusqu'à maintenant catastrophique pour Ian Thorpe, l'homme aux cinq titres de champion olympique et onze titres de champion du monde. Deux ans après avoir dévoilé au grand jour son combat contre la dépression, ses idées suicidaires et ses problèmes avec l'alcool dans son autobiographie This is me, l'Australien de 31 ans succombait en début d'année de ses démons, retrouvé dans un état second et hospitalisé pour dépression. Puis, en avril, il se retrouvait en soins intensifs, victime d'une grave infection consécutive à une opération de l'épaule sonnant définitivement le glas de sa carrière. Le 13 juillet 2014, Ian Thorpe a repris le contrôle sur sa vie, en acceptant la vérité, et en acceptant de la partager avec le public.
Embauché comme consultant par la chaîne australienne Network Ten (l'une des principales chaînes nationales, Down Under) pour commenter les prochains Jeux du Commonwealth, qui auront lieu à la fin de l'été à Glasgow, celui dont les performances lui ont valu le surnom de La Torpille s'est assis avec Michael Parkinson pour un entretien présenté comme "sans question interdite". Le journaliste britannique vétéran a donc posé celle qui s'imposait : "Vous avez toujours dit ne pas être gay. Cela est-il l'exacte vérité ?" Ian Thorpe répond : "J'avais 16 ans quand on m'a posé cette question pour la première fois. Cela fait longtemps que j'y réfléchis... Je ne suis pas hétérosexuel. Ce n'est que très récemment, au cours des deux dernières semaines, que je me suis senti à l'aise pour le dire exactement et en parler avec mes proches."
"Je n'ai pas de problème à dire que je suis un homme gay. Une partie de moi ne savait pas si l'Australie voudrait que son champion soit gay. Mais je le dis au monde : je le suis."
Et d'expliquer, au regard des longues années de dénégations catégoriques qui se sont écoulées : "Je ne veux pas que les jeunes vivent ce que j'ai vécu. Cela fait un moment que je veux le dire. Je ne pouvais pas, je ne m'en croyais pas capable. Le problème c'est que j'étais si jeune quand on m'a posé cette question sur ma sexualité. Je suis allé dans une école de garçons, alors quand on vous accusait d'être gay, la première réponse était non, et ensuite vous vous prépariez à vous battre. J'avais répondu qu'il était inapproprié de poser une telle question à un enfant et qu'il était (d'ailleurs) inapproprié de poser cette question à qui que ce soit. Mais (...) j'ai réalisé que le mensonge était devenu si gros que je ne voulais pas que les gens remettent en cause mon intégrité. Il y a un peu d'ego, en l'occurrence. Je ne voulais pas que les gens se demandent si j'ai menti sur tout. Oui, j'ai menti à ce sujet. Je n'ai pas de problème à dire que je suis un homme gay. Mes parents m'ont dit qu'ils m'aiment et me soutiennent. Une partie de moi ne savait pas sil'Australie voudrait que son champion soit gay. Mais je le dis haut et fort : je le suis."
En parlant de mensonge, le nageur, auteur d'une tentative de come-back ratée en 2011 après avoir pris sa retraite sportive en 2006, pense sans aucun doute à certains moments en particulier. En 2009, des médias australiens faisaient état d'un communiqué du champion concernant une supposée relation romantique avec la nageuse Amanda Beard : "J'ai entretenu une relation longue distance avec elle, et c'était bien tant que ça a duré." Des allégations contestées par le manager de l'intéressée : "Enlevez le mot "relation" et remplacez-le par "amitié", et vous obtiendrez ce dont il s'agissait en réalité." En 2012, dans son autobiographie, Thorpe écrivait noir sur blanc : "Je ne suis pas gay et toutes mes expériences sexuelles ont été hétéro. Je suis attiré par les femmes, j'aime les enfants et je compte bien créer un jour une famille."
Au cours de son entretien avec Michael Parkinson (une interview au passage très juteuse, puisqu'elle a rapporté à l'ex-nageur 400 000 dollars australiens - soit euros -, ce qui comprend sa rétribution de consultant pour les Jeux du Commonwealth, et 100 000 dollars au journaliste, incluant les frais de production du programme), Ian Thorpe reviendra également sur d'autres aspects et d'autres affres de son existence. A propos de la tentation du suicide, qu'il avait déjà révélée, il déclare qu'il ne pouvait pas accepter "de faire cela à [s]es amis et [s]a famille", et que c'est "l'unique raison" qui l'a dissuadé de mettre fin à ses jours.
Un si long calvaire...
La dépression, et le recours aux anti-dépresseurs, est tout naturellement un autre des thèmes abordés : "Cela vous maintient dans une zone de sécurité. Je savais que j'avais besoin d'un filet de sécurité. Quand je regardais des anti-dépresseurs qui ne marchaient pas, je me servais un verre et ça allait mieux, ça devenait mécanique. Vous vous mettez à boire et à faire de l'auto-médication (...) C'était quelque chose que je faisais dans mon coin. Je ne voulais pas partager mes problèmes avec les gens. Je ne voulais pas qu'on sache que j'étais malheureux. Parce que je vis ce qui, pour un Australien, a tout d'une vie de rêve. Je suis un athlète qui a connu un succès exceptionnel - je devrais m'éclater et ce n'est pas le cas. Alors j'ai tout gardé pour moi."
Et quand il réfléchit à la rançon de la gloire, Ian Thorpe en vient même à repenser à sa décision d'arrêter, en 2006 : "Je voulais juste nager [sans être dérangé par les médias]. c'était comme si ma carrière ne m'appartenait pas, mais qu'elle appartenait aux autres. J'avais l'impression qu'il me fallait récupérer ma vie. Et il m'a semblé que le moyen d'y arriver était d'arrêter de nager. C'est malheureux que j'aie arrêté, mais je sais pourquoi je l'ai fait. Maintenant, j'aimerais ne pas l'avoir fait, mais je n'avais pas le choix."
Avec ces nouvelles confidences et la révélation de son coming-out, Ian Thorpe semble en bonne voie de reprendre définitivement la main sur sa vie et son bien-être. Son "courage" a en tout cas été largement salué sur les réseaux sociaux, et les marques de soutien innombrables. Dans son entourage, on souligne que la présence bienveillante de sa famille - notamment ses parents Margaret et Ken et sa soeur Christina - autour de lui ces derniers mois à Sydney, où il est rentré fin 2013 après plusieurs années passées à vivre aux Emirats arabes unis, a grandement contribué dans l'amélioration de son état.