Des années à chercher son chemin à New York, et quelques mois seulement pour se faire sa place au soleil : l'ascension d'Imany, désormais incontournable sur la nouvelle scène musicale, immanquable avec ce timbre de voix ébahissant qui confère à chacune de ses chansons son air d'humanité - d'Imanyté - et son aura d'éternité, a été fulgurante. Il aura (presque) suffi qu'elle décide de revenir en France, en 2007. Avec du caractère.
La suite s'est alors écrite en une success story limpide, aussi sereine que ses chansons peuvent être tourmentées, ou du moins douces-amères, avec cette "shade of blue" maculant élégamment une folk/nu-soul voluptueuse et mélodieuse où le noyau dur (tendre, en fait) guitare-voix a été préservé, d'abord présentée dans l'EP Acoustic Sessions puis développée dans The Shape of a Broken Heart. Un album à succès, platiné (plus de 30 semaines dans le Top 50 des ventes) dans le sillage de sa touchante complainte You Will Never Know (dont le clip comptabilise plus de 4,5 millions de visionnages) et de sa litanie sans pathos Please and Change, qui a connu le 27 février 2012 une réédition collector CD+DVD augmentée de deux inédits, de vidéos live et des clips ensoleillés du décor cubain qui les a accueillis.
Dotée d'une grâce hors norme, qui tient autant à son physique de mannequin saupoudré de mystère qu'à son grain de voix d'une suavité pénétrante, Imany - Nadia Mladjao pour l'état civil - n'a eu aucun mal à imposer sa présence. Sa sincérité. L'ancienne première partie remarquée des Angie Stone, Wasis Diop, Hocus Pocus, Sly Johnson et autres Ben l'Oncle Soul occupe aujourd'hui le devant de la scène : ce 5 avril 2012, c'est d'ailleurs sur la scène mythique de l'Olympia (complet) qu'elle fêtera son 32e anniversaire (en même temps que les débuts brillants de sa carrière), avant de poursuivre sa tournée marathon en France et en Europe. On sait d'ores et déjà qu'on la retrouvera à Paris à la rentrée pour une résidence qui s'annonce elle aussi sold out, du 20 au 24 septembre 2012 à La Cigale.
Elle aurait pu parachever, début mars, ce formidable parcours et ce bel accueil lors de ses concerts par la Victoire de la musique 2012 de la Révélation scène de l'année, qui lui a échappé au profit du duo Brigitte. Mais il y a bien assez de motifs de satisfaction pour celle qui, plus jeune, complexait d'avoir "une grosse voix" qu'elle croyait anormale, qui, plus tard, a quitté les siens (une fratrie de dix) pour l'Amérique et a évolué sept ans dans le monde du mannequinat en plein dans "la grosse machine" new-yorkaise avant de savoir comment s'exprimer, "exister par soi-même", et qui, enfin, a le sentiment aujourd'hui d'avoir trouvé sa place. Une trajectoire intime qu'elle retraçait avec nous il y a quelques mois, ouvrant une fenêtre sur le monde d'émotions qu'elle a mis en musique et en scène avec The Shape of a Broken Heart, enregistré avec la complicité de musiciens au CV plus que gratifiant et sous l'égide du label Thinkzik. Pas si loin que cela des clairs-obscurs et des climats changeants de ses chansons, qui se conjuguent à tous les temps de l'âme (spleen, nostalgie, désir, rebellion, déception, amour fou) pour livrer quelques tableaux d'une authentique passion, Imany, entre deux visites d'appartements, s'offrait alors docilement à la curiosité, d'une présence folle, picturale, captivante, dans le décor cosy-arty du Flaq, discret repaire de savoir-vivre et de culture de la rue Quincampoix. Intimiste, chargé d'authenticité, de caractère, paisible et passionné : tout à l'image de son invitée. Actu et dates de concert sur le site officiel imanymusic.com.
Interview avec Imany
Purepeople.com : Tu viens d'une famille très nombreuse (10 frères et soeurs). Ta musique, elle, brille par son intimité. C'est une forme de réaction ? L'aboutissement d'un jardin secret soigneusement cultivé ?
Imany : "Même si on vient d'une famille nombreuse, on n'est pas un numéro. On a quand même son identité ; on est tous et toutes différent(e)s dans ma famille. Mes parents n'étaient pas dans la musique ou l'art d'une quelconque manière, et personne dans ma famille à part moi n'a suivi ce chemin-là (...) On a toujours été ensemble, je n'ai pas vraiment eu d'amis d'enfance. J'ai toujours été avec ma grande soeur et mon petit frère, on est très proches en âge, on était dans les mêmes écoles, j'étais tout le temps avec eux. Et à partir du moment où j'ai commencé voyager, vers 18-19 ans, je me suis un peu séparée du cocon familial, et c'est peut-être effectivement à ce moment-là que j'ai essayé de trouver mon propre chemin."
PP : Comment est née ton aventure américaine ?
Imany : "C'est un pur hasard, car je me suis fait repérer dans le métro parisien, alors que j'étais au lycée. Je rentre dans une agence, pendant un an ou deux je suis à Paris puisque je suis encore à l'école, et un jour une agence veut me voir pour un boulot là-bas aux Etats-Unis. J'avais toujours eu ce petit rêve secret d'aller vivre aux Etats-Unis, et finalement, après ce boulot qui devait durer trois semaines, j'ai tellement aimé que j'ai eu envie de rester. Et j'y suis restée sept ans finalement (...) J'ai bien vécu ma vie à New York. Au départ, c'était génial. J'étais toute seule pour une fois ; effectivement, j'étais habituée à être attachée à mes frères et soeurs toutes ces années, et là j'étais seule. New York est une ville avec plein d'énergie, avec plein de gens de tous les milieux. Après, ce qu'il s'est passé, c'est qu'il a fallu que je fasse mon chemin, mon trou, ma place, au milieu de ces milliards de gens. Et peut-être que ça a été ça le plus dur : trouver sa propre identité au milieu d'une grosse machine, une grosse industrie qui finalement est beaucoup plus formatée qu'on croit."
PP : En particulier dans le milieu du mannequinat, non ?
Imany : "Je n'étais pas dans une souffrance ! J'ai encore beaucoup d'amies de par la mode, je me suis toujours bien entendue avec mes bookers... J'étais vraiment dans la classe moyenne du mannequinat, moi ! J'ai fait mon petit chemin, j'ai rencontré plein de gens, certains sont devenus des amis très proches, j'ai vécu de belles histoires... Parfois, c'était très dur : par moments, on ne travaille pas, on a des clients difficiles, il faut maigrir, il faut faire attention... Et par moments c'était génial, parce qu'on allait dans des endroits improbables, qu'on rencontrait des personnes qu'on n'aurait jamais rencontrées sinon..."
PP : Mais tu as dit stop.
Imany : "La libération s'est faite, parce que, la mode, j'en avais ras-le-bol, j'avais envie de faire autre chose, d'exister par moi-même, et par la mode c'est, du moins dans ma vision, pas vraiment possible ; progressivement je me suis rendu compte que la musique, c'était vraiment ce que je voulais faire. Quant à la mode, non pas que j'aie des regrets, mais là, ça ne me manque pas du tout."
PP : Et cette expérience t'a peut-être permis d'être un peu "pistonnée" ?
Imany : "Pas du tout. De temps en temps, j'ai eu quelques rendez-vous, mais ça ne m'a pas vraiment servi. Ca m'a juste forgé le caractère."
PP : Tu as senti une petite bulle d'estime se créer à New York, pour tes débuts ?
Imany : "Je ne pense pas du tout, je ne sais pas... En tout cas, on ne se faisait pas jeter de la scène ! [Mais il n'y a pas eu de gros buzz comme de ce côté-ci de l'Atlantique ?] Non ! Mais déjà, je n'avais pas travaillé autant. A New York, on a tout fait sur un an : écrire des chansons, rencontrer des gens... Ici, ça fait depuis 2007 qu'on s'y est mis... Et à partir du moment où je me fais signer par le label Thinkzik, en 2008, ça va encore plus vite."
PP : Précisément, en France, le public t'a vu surgir d'un coup, mais c'était l'aboutissement d'une longue période de construction personnelle ?Imany : "Aux yeux des gens, ça a l'air d'avoir été simple, mais pour moi cela a été beaucoup plus long. Quand je suis à New York, à un moment donné, il se passe le 11 septembre, c'est la crise, il y a beaucoup de mannequins qui travaillent moins, je me retrouve à faire d'autres petits boulots, et là je rencontre plein d'autres gens qui font autre chose que la mode. Et je rencontre d'autres artistes, qui me donnent le courage de m'y mettre. Je commence donc par des cours de chant. Le déclic s'est fait un peu comme ça : j'avais ce désir de chanter depuis longtemps, mais pas vraiment le courage. Et à force de rencontrer d'autres gens qui eux avaient le courage de prendre leur destinée en main, j'ai essayé. J'ai tâtonné. A partir du moment où j'ai commencé à mettre un peu de ma poche pour monter une démo – c'est beaucoup d'argent quand même – et faire des scènes sur New York dans des petits endroits, là ça remonte à six ans déjà. Ensuite, j'ai demandé à ma soeur si elle voulait bien être mon manager, elle m'a dit "oui, mais il faut que tu rentres à Paris". Depuis à peu près 2007, on a arpenté les scènes..."
"Ma soeur était ici, en France, travaillait dans l'import-export. Elle m'a "importée" complètement. C'était plus logique de venir en France. De toute façon, je sentais bien qu'aux Etats-Unis ça allait être beaucoup plus dur, je ne pensais pas avoir ma place et je ne me voyais pas le faire toute seule. J'avais l'impression qu'en France il y avait plus de place pour des caractères, en fait..."PP : Mais c'est une culture musicale essentiellement, voire exclusivement américaine qu'on décèle sur l'album The Shape of a Broken Heart...
Imany : "Ma culture musicale, elle est certainement plus américaine que française. Elle n'est même pas anglaise, elle est vraiment américaine. Elle n'est pas tellement française non plus. Et elle n'est pas vraiment comorienne non plus [même si le comorien est présent dans Take Care, NDLR]. Je ne peux pas dire que c'est ce que j'écoute en boucle dans mon MP3..."
PP : Et il y a quoi dans le MP3 d'Imany ?
Imany : "Ce que j'écoute en boucle en ce moment ? J'ai découvert cet artiste qui s'appelle Asaf Avidan. Il y a une chanson qui s'appelle Out in the cold, qui est vraiment belle et que j'écoute en boucle. Un titre de Puggy que j'aime bien, How I need you, pas mal cet album, ça donne la pêche. Il y avait un titre d'Irma que j'écoutais en boucle, Watching Crap on TV. Et Joe Purdy, un chanteur que j'aime bien et que personne ne connaît, Diamond State, très belle chanson."
PP : Ta première compo ?
Imany : "I lost my keys. Je l'ai écrite à New York, par rapport à un moment qui m'était arrivé à Milan, où je devais bosser. On m'avait mise devant le mauvais appartement, et j'ai passé la nuit dehors. C'était pas un des plus joyeux moments de ma vie, et après, c'est devenu une chanson d'amour au fil de l'écriture : comment on peut se sentir une fois qu'on s'est fait larguer, qu'on est à la porte de chez soi, et qu'on ne peut plus rentrer."
PP : Est-ce emblématique de ton écriture : tu pars d'un instant de vie, et tu laisses la chose se transformer à travers toi ?
Imany : "Exactement, c'est mieux que ce que j'aurais dit. Ca part simplement de l'anecdote, de la phrase, et cela devient autre chose parce que tu te laisses porter par la chanson, tu ne la contrôles pas vraiment. Ce sont des choses qui vivent en moi."
PP : Textes et mélodies sont ton oeuvre ?
Imany : "J'écris mes textes d'abord, la plupart des mélodies, c'est moi qui les compose. Je ne joue de la guitare que depuis quelques mois, je ne jouais pas d'instrument jusqu'à présent, j'interprète la musique vraiment par le chant. Là, ça va un peu mieux, je compose un petit plus vite et différemment, ça ouvre d'autres horizons (...) Pour mon premier album, rien n'était prémédité (On avait des idées, des trames, on savait ce qu'on voulait et ce qu'on ne voulait pas surtout. On a laissé les musiciens s'exprimer et on a gardé le meilleur, on a piqué un peu dans le cerveau de chacun. Comme toutes les chansons étaient en voix-guitare, l'idée, c'était de garder l'authenticité et la sincérité du voix-guitare. Il fallait les étoffer, pas les étouffer, préserver cela). Le deuxième, ce sera pareil. Je ne sais pas quand il va arriver, mais j'aurai changé et je le ferai en fonction de qui je serai à ce moment-là."
PP : Un mot sur les visuels : Acoustic Sessions était présenté avec un portrait de toi petite fille, The Shape of a Broken Heart avec un portrait de toi grande fille, toujours façon sepia...
Imany : "L'histoire d'Acoustic Sessions, c'était un cahier d'école et l'histoire de la naissance des chansons, c'était plus logique. Pour The Shape of a broken Heart, la photo de l'album s'est trouvée toute seule. On ne savait pas quelle photo on allait utiliser après la session photo à New York, et la graphiste qui a travaillé dessus, un matin, s'est levée et s'est dit "tiens, cette photo-là fait penser à celle d'Imany petite, c'est la fille qui a grandi"..."
PP : Au passage, cela rappelle cette anecdote de la fillette qui n'aimait pas sa "grosse voix"...
Imany : "Pas un traumatisme mais c'était un complexe, voilà, comme on peut en avoir... Il fallait juste accepter la voix comme elle était. C'est vrai qu'au départ, c'était un complexe parce qu'elle n'était pas comme celle des autres, et je pensais que c'était une anomalie... Après, j'ai grandi avec ça, c'est peut-être pour ça que je m'y suis mise un peu tard."
PP : Et tu n'as pas été tentée de "casser" l'image du mannequin ?
Imany : "Je ne voulais pas qu'on utilise mon image comme mannequin, mais en même temps c'est la tête que j'ai, il faut au moins que je fasse avec (rires). L'idée, c'était d'abord que les gens écoutent. C'était ça, la volonté : c'est pour ça qu'on met un enfant sur un CD, comme ça on est vraiment obligé de ne regarder que la musique d'abord. L'idéal, c'était de convaincre les gens musicalement ; ensuite, s'ils aiment le packaging, c'est encore mieux, mais il faut qu'ils aiment la musique d'abord."
PP : Côté scène, tu préfères l'intimité ou le gros show ?
Imany : "Je crois que je préfère les scènes où il y a beaucoup de monde. Elles sont moins intimidantes que les scènes où il y a 50 personnes qui vous regardent, où on voit tous les visages, on a l'impression d'être à la biblothèque et il y a pas un bruit ; c'est plus intimidant que quand je suis sur une scène où c'est un peu plus roots, tout le monde est debout... Il y a une énergie évidente, palpable... (...) Quand on est devant 50 personnes en voix-guitare, c'est plus intime, mais en voix-guitare devant 5 000 personnes ça le fait aussi, quand tu y mets l'énergie, le coeur... Et depuis qu'on a commencé à jouer avec le groupe, ça fait vibrer le coeur autrement."
PP : Tu as l'air si zen...
Imany : "Est-ce que je suis zen ? Je suis une fille calme, mais pas si zen que ça !"
G.J.