Ingrid Betancourt dévoile pour la première fois son enfer : détermination, révélations et dénonciations d'une femme ambiguë...

Le 2 juillet 2008, Ingrid Betancourt est libérée par l'armée colombienne après avoir été kidnappée par les Farc, Forces armées révolutionnaires de Colombie, le 23 février 2002, alors qu'elle était en campagne électorale. Un peu plus de deux ans après sa libération, elle revient pour la première fois sur son expérience d'otage dans un livre qui sort ce 21 septembre, Même le silence a une fin (Gallimard). Durant un an et demi, elle a rédigé en suivant le fil chronologique le récit de sa captivité dans la jungle colombienne.

Sainte ou enfant gâtée

Il faut dire que le retour à la liberté d'Ingrid Betancourt - après avoir été encensée et accueillie comme une rock star, décorée de la légion d'honneur par la France - s'est accompagné très vite de nombreux scandales : les portraits accablants de ses ex-compagnons de captivité, notamment Clara Rojas son ex-directrice de campagne -qu'elle a snobée la seule fois où elle l'a croisée -, sa réclamation qui a choqué le monde entier d'une indemnisation par la Colombie pour ses jours passés comme otage, alors qu'elle avait été mise en garde par son gouvernement de la dangerosité de sa campagne dans certains endroits, puis sa renonciation et ensuite son refus d'accepter l'argent de la France.

Anne Fulda écrit dans Les Confidentiels du Figaro : "L'ex-otage au visage de pietà a réussi l'exploit de se rendre antipathique." De quoi avoir envie, pour Ingrid Betancourt, de "rétablir sa vérité", comme elle l'annonçait dans les pages du Parisien, avec des mémoires de 700 pages. Le livre, écrit en français "pour garder une distance", selon l'auteur, est publié simultanément dans neuf langues. Elle affirme dans une interview à Libération l'avoir écrit seule, sans l'aide d'un rédacteur, pour ne pas en faire un livre d'action mais plonger le lecteur avec elle dans la jungle.

L'enfer : entre tortures, abus sexuels et humiliations

Si l'horreur de la captivité, des humiliations et des violences est au coeur du livre, la détermination de survivre l'est aussi. Le livre commence par sa punition après l'une des ses cinq tentatives d'évasion. Elle est battue, enchaînée par le cou, abusée sexuellement. "Mais je survivrai", se dit-elle de retour dans sa cage.

Parmi ses cinq tentatives, il en est une relatée par Le Point, montrant sa détermination : "La plus belle la verra dériver cinq jours d'affilée dans un fleuve, ficelée à un ex-collègue diabétique du Sénat, avant de héler une barque peuplée de 'paysans' - en fait, leurs propres geôliers déguisés."

Ne pas sombrer face aux humiliations des geôliers, mais aussi celle de ses compagnons d'infortune, des impératifs pour Ingrid Betancourt : "Il fallait être très fort pour ne pas se soulager des constantes humiliations des gardes en humiliant à son tour celle qui partageait votre sort", explique l'auteur, ciblant Clara Rojas qui a lourdement critiqué son comportement une fois en liberté.

Révélations et dénonciations

Dans ce livre, elle parle d'ailleurs, comme le reprend l'écrivain Hector Abad dans Libération, du fait que Clara Rojas a demandé l'autorisation de tomber enceinte. Elle a écrit aux commandants des Farc pour demander l'autorisation d'avoir un enfant [elle est tombée enceinte d'un des membres des Farc et a accouché dans la jungle, ndlr] : "J'ai hésité à le raconter. [...] Mais je voulais expliquer le conflit que cela représentait pour moi ; je ne savais pas quoi faire à ce moment-là. Je comprends qu'elle ait senti que le fait d'être otage la privait de ce qui était le plus important à ses yeux : le droit d'être mère. Même si je n'ai aucune idée de ce qui a pu se passer dans la tête de Clara à ce moment-là. [...] Et nous ne sommes jamais redevenues amies vraiment. Mais il est important de dire que nous serons toujours comme des soeurs."

Hector Abad l'interroge également sur la spéculation comme quoi elle a souffert du syndrome de Stockholm : "Un jour, j'étais enchaînée à un arbre et j'ai réussi à entendre un programme de radio dans lequel on disait, on spéculait, on inventait que j'étais la maîtresse du commandant des Farc, Alfonso Cano. [...] Je recevais le pire traitement inimaginable [...] et ils disaient que j'étais en vacances et que j'avais une aventure avec un guérillero de haut rang."

Dans ses mémoires, elle lance "une pique à l'ex-mari qui aurait pris une maîtresse pendant sa captivité, et une allusion à son idylle avec Marc Gonsalves, un des trois otages Américains", ajoute Le Point.

Une femme consciente de son rang

A travers les pages, on découvre une femme forte mais aussi consciente de son rang, elle qui est fille d'un ambassadeur et d'une ex-reine de beauté élue sénatrice, ce qui avait de quoi créer des tensions avec les autres otages. "L'enfant gâtée de l'oligarchie a du caractère", écrit Le Point.

"Si l'enfant gâtée de Science-Po ne s'épargne pas" dans ce livre, "la Betancourt valant plus qu'eux tous réunis sur le marché médiatique mondial, elle jouit le plus souvent d'égards qui ont rendu leurs relations infernales. Difficile d'être une star attirant la lumière dans un univers concentrationnaire", lit-on dans l'analyse du Point.

Son amour pour ses enfants, ses parents - elle a appris en regardant un ancien journal sciemment déposé près d'elle, la mort de son père qu'elle adorait tant -, est manifeste dans cet ouvrage tout comme sa foi et son rapport à la nature. Dans cette jungle hostile, elle tentait à chaque fois de sauver les animaux, dangereux ou pas, des fusils des Farc, voulant protéger les espèces menacées de disparition... Des convictions que ses co-détenus ne partageaient pas forcément.

Le 20 septembre, Ingrid Betancourt a accordé une interview sur TF1 : "Le pire était vraiment la relation avec les êtres humains... et en particulier avec les geôliers." A plusieurs reprises, elle loue la solidarité avec les autres otages mais rappelle autant de fois qu'ils étaient difficiles. Retrouvez la vidéo ci-dessus. Son image ambiguë de femme martyre ou femme ingrate avec un sentiment de supériorité reste tenace à chacune de ses apparitions publiques.

Son ex-mari revient à la charge

Par ailleurs, son ex-mari Juan Carlos Lecompte a déposé mi-septembre devant la justice colombienne une demande de saisie des biens de l'ex-otage des Farc, une requête liée à leur procédure de divorce. "La requête vise également le patrimoine d'Ingrid Betancourt à l'étranger et les fonds liés aux contrats passés par l'ancienne candidate à la présidentielle colombienne avec des maisons d'édition", a précisé l'avocat de l'intéressé, maître Heli Abel Torrado.

C'est en janvier 2009 qu'Ingrid Betancourt a demandé le divorce de celui qu'elle a épousé en 1997 et qu'on a vu batailler pour sa libération durant sa captivité et qui se sent désormais trahi. Elle était auparavant mariée à Fabrice Delloye, père de ses deux enfants Melanie et Lorenzo.

Après avoir vécu une terrible expérience des années durant, Ingrid Betancourt déclare sa vérité sur ses bourreaux, les Farc, sur ces co-détenus et sur elle. Si, malgré ses mots, elle ne retrouve pas son aura de Femme de l'année 2008, elle a tout d'une personnalité fascinante. Avec un tel livre, les producteurs hollywoodiens doivent être en ébullition pour faire un film sur ce sujet...