Les Inrockuptibles en rêvaient, ils l'ont fait. Pour la première fois de son histoire, le magazine culturel s'est longuement entretenu avec Isabelle Adjani, "l'un des mythes les plus forts qu'ait engendrés le cinéma français post-Nouvelle Vague", écrivent-ils très justement. À l'occasion de la sortie le mois prochain du nouveau film de Romain Gavras, Le monde est à toi, dans lequel elle interprète une mère chef d'un gang de pickpockets, l'actrice s'est ainsi remémoré quelques souvenirs de tournage au détour d'une conversation centrée sur sa filmographie mais aussi sur sa relation difficile avec son père (décédé en 1983).
"L'autre jour m'est revenu un épisode que j'avais oublié. Ça s'est passé sur le tournage du Locataire de Polanski [sorti en 1976, NDLR]. Roman, quand il jouait dans ses films, entrait en concurrence avec les autres comédiens. C'était assez pénible. Un matin, je devais tourner une scène à laquelle je m'étais préparée par l'épuisement. J'avais choisi de ne pas dormir de la nuit. J'ai marché dans Paris jusqu'au matin pour être dans l'état d'effondrement nerveux requis par la scène. Roman a 'vu' et s'est mis à sans cesse retarder le tournage de la scène, il comptait bien jouer à me déstabiliser, me décourager, me démotiver. C'était limite. J'avais peur de ne plus avoir les quelques forces nécessaires pour jouer l'absence de forces", a-t-elle confié. Pour se donner du courage, Isabelle Adjani a expliqué qu'elle s'est tournée vers son père. "Je l'ai appelé. J'avais besoin qu'il m'aide à tenir. Il est venu sur le plateau, s'est mis dans un coin. Il m'encourageait du regard, il était là pour moi. (...) Ça a été un grand moment de complicité avec lui", a-t-elle poursuivi.
Dans son interview, la comédienne a également évoqué le tournage "hystérique" de Possession d'Andrzej Zulawski (décédé en 2016), film dans lequel elle avait livré une performance intense et démente qui lui avait permis d'obtenir en 1981 le Prix d'interprétation féminine à Cannes et le César de la meilleure actrice en 1982. Avec le recul, elle affirme ainsi qu'elle ne retenterait pas l'expérience. "Je travaillais avec un metteur en scène, Zulawski donc, qui était encore beaucoup plus déchaîné que son sujet. Il se donnait en spectacle dans son spectacle, il hystérisait le plateau quotidiennement pour que la contagion opère. Il faisait danser à l'équipe une rumba de démence qu'il justifiait en nous expliquant qu'elle nous évitait de sombrer, surtout moi, et que de fait il fallait faire en sorte que sa cadence ne retombe jamais. J'étais très consciente de la perversité qui se jouait. À la fois ça me dégoûtait, et en même temps, j'ai fait la soumise dans la grotte, j'ai marché dans le long tunnel qui menait à ce que devait être le film", a-t-elle expliqué.
Et de conclure : "Il me serait impossible aujourd'hui de faire un film dans des conditions délétères, de tourner avec un cinéaste aussi 'intoxicant' que Zulawski. Il faut vraiment être d'une extrême jeunesse ou antiféministe ou en mal d'exister pour croire au bénéfice de se faire manipuler et martyriser".
Retrouvez l'intégralité de l'interview d'Isabelle Adjani dans Les Inrockuptibles en kiosques le 18 juillet 2018