Pendant quelques minutes, lundi soir, jusqu'à ce que l'Américaine Missy Franklin redonne à son pays son leadership avec sa victoire dans le 100m dos et jusqu'à ce que Camille Lacourt coule à pic et laisse la voie libre aux représentants des USA, la France a été en tête du classement des nations aux Jeux olympiques de Londres. Grâce à Yannick Agnel, qui a fait tomber une troisième médaille d'or dans l'escarcelle, la troisième provenant de la natation tricolore, la deuxième 100% niçoise après le sacre de Camille Muffat et sa deuxième personnelle dans ces olympiades - les premières qu'il dispute. Tout un symbole tant ce garçon au profil agréablement discret et érudit incarne une nouvelle vague de grande classe, qu'on souhaiterait voir déferler pour des années.
Déjà couvert d'or avec le relais 4x100m nage libre masculin - Amaury Leveaux, Fabien Gilot, Clement Lefert, Yannick Agnel -, qu'il a emballé avec un dernier relais supersonique (46"74) dont les Américains ne se sont pas remis, Yannick Agnel a cette fois été chercher une médaille d'or qu'il ne doit qu'à lui, en dominant de la tête et des épaules ses concurrents dans le 200m nage libre. De mémoire de spectateur, on aura rarement vu une victoire en finale de la distance aussi tranquille : et pour cause, le Français a nagé en 1'43"14, soit plus d'une seconde de mieux que son propre précédent record de France, et, surtout, un chrono que personne n'a réussi depuis l'interdiction des combinaisons en polyuréthane, à la faveur notamment d'un dernier virage et d'un dernier 50m foudroyants. Au fait : il a 20 ans, tout juste.
Concentré depuis des mois sur ce 200m, où on sentait bien que l'exploit était à sa portée, Yannick Agnel a fait plus que réussir son pari : il a imposé sa supériorité d'une manière si éclatante qu'on lui prédit des années régaliennes à venir, lui qui vient de devenir le quatrième champion olympique français de natation dans une épreuve individuelle, après Jean Boiteux (400m), Laure Manaudou (400m, 2004) et Alain Bernard (100m, 2008).
Yannick Agnel, les tremolos et les "propulseurs invisibles"
Sa nage est élégante, sa joie tout autant : à la sortie du bassin, où il a pu exploser d'une euphorie tout de même mesurée, sûr de son fait ("Je savais que j'étais le nageur le plus rapide dans l'absolu", analysera-t-il a posteriori) et visiblement fier, souriant aux anges autant qu'à sa maman Elisabeth, le Niçois a été d'une classe intégrale au micro de Nelson Monfort pour France Télévisions, sous le regard du président de la République François Hollande, qui aura le loisir quelques minutes plus tard de le féliciter en personne. "C'est magique, encore une fois je n'ai pas d'autre mot à la bouche. On est dans une super dynamique (...) Les gens qui m'envoient des messages, sur mon site Internet, sur Facebook, sur Twitter, je veux les remercier, c'est mes moteurs, mes propulseurs invisibles", a réagi Yannick Agnel, avec toute l'humilité et la classe qu'on lui sait.
Elève brillant et studieux jusqu'au bout, il ne parlait encore de fête, quelques minutes plus tard, revenant vers Nelson Monfort après avoir reçu sa médaille et scandé pour la deuxième fois des Jeux la Marseillaise : "Désolé, j'ai des tremolos dans la voix", s'excuse-t-il, avant, tout de suite, de se concentrer sur les séries du 100m (ce mardi matin), pour lesquels il fait évidemment figure de prétendant, plus que jamais.
On connaissait un garçon élégant, humble et attachant, on adore déjà l'immense champion qu'il est en train de devenir.
Lacourt : "Ça coince, c'est dur, ce sera pas le meilleur souvenir..."
Si Agnel a fait le dernier 50 "avec les tripes (...) et ça a marché", du côté de l'autre espoir français de médaille lundi soir, Camille Lacourt, ça a en revanche coincé. Destins contraires... Quand le Niçois collait un dernier 50m fulgurant sur le 200m nage libre, le Narbonnais du CNM piochait et coulait dans le second 50m de son 100m dos. Une défaillance terrible, cruelle même, puisque, pour onze centièmes, le champion du monde en titre du 100m dos (en 2011 à Shanghai) abandonne le bronze au Japonais Ryosuke Irie, dans une course dominée par l'Américain Matt Grevers et son compatriote Nick Thoman.
Alors, lui aussi a manqué de mots, à l'issue de sa course. Nelson Monfort a bien essayé de le repêcher, mais rien n'y a fait, le coup de massue était bien trop violent pour un Camille Lacourt qui avait tout misé sur ce 100m dos, course pour laquelle il s'était spécialement réservé : "Je l'espérais. C'est le jeu, c'est le sport... (hébété, il est à court de mots). Ça coince, c'est dur ; j'ai fait une grosse année, j'ai bien travaillé... C'est le sport... Ça fait chier, mais c'est le sport. Ce sera pas le meilleur souvenir de ma carrière", lâchera-t-il avec dépit.
Dans les gardins, sa compagne l'ancienne Miss France Valérie Bègue, enceinte de leur premier enfant, pleure à chaudes larmes...
Guillaume Joffroy