Il a été pendant plus de 45 ans "quelqu'un d'absolument central" dans la vie de Caroline de Monaco, laquelle "devai[t] avoir 16 ans et demi" lors de leur première rencontre : elle en a aujourd'hui 62 et on peine à imaginer face à quel vide abyssal la mort de Karl Lagerfeld, qui s'est éteint à 85 ans ce 19 février 2019, laisse la princesse de Hanovre. L'irrémédiable absence, par-delà maints souvenirs de moments partagés, publics ou privés, qui, eux, restent : les soirées mondaines où il était son cavalier, les événements de la maison Chanel, les remises de décoration, les vacances en famille, même... Et le Bal de la Rose, bien sûr, paroxysme glamour de leur belle complicité, année après année.
Le roman de leur amitié avait commencé à s'écrire "au siècle dernier", selon les mots amuseurs de la princesse Caroline elle-même. Alors que leurs chemins s'étaient croisés pour la première fois en 1973 - un an avant que la fille aînée du prince Rainier III décroche son bac avec les félicitations du jury -, c'est en décembre 2016, dans les pages du magazine Vogue, que la grande soeur du prince Albert II racontait le premier chapitre de l'histoire : "Je devais avoir 16 ans et demi, place Saint-Sulpice, dans le très bel appartement art déco de Karl. Ça, je m'en souviens très bien. Voilà comment je l'ai connu. C'était une séance photo d'une collection Chloé pour le Vogue américain avec Mary Russell", se remémorait-elle. Plus de trente ans plus tard, elle décrivait leurs liens avec des mots aussi choisis que l'existence de Karl lui était précieuse : "On ne peut pas définir une relation comme celle-là, observait Son Altesse. C'est quelqu'un qui compte tellement pour moi, qui est tellement présent. Il est comme un membre de la famille. Il m'a influencée, enrichie, la liste de ce qu'il m'a apporté est longue. C'est quelqu'un d'absolument central dans ma vie, ça c'est sûr, mais je ne dois pas être la seule à dire cela."
Les hommages qui affluent heure après heure depuis l'annonce de la disparition du grand couturier semblent lui donner raison : Diane Kruger, sa compatriote, venait à Paris cette semaine pour lui présenter sa fille ; Lily-Rose Depp, déjà icône de la nouvelle génération, n'a pas assez de mots pour exprimer sa gratitude envers cet homme qui a tout bonnement changé sa vie... Le Kaiser était spécial et cher au coeur de beaucoup. Et la princesse Caroline, parmi d'autres, était spéciale pour lui. Elle n'était pas seulement une amie intime (et une ambassadrice de marque pour ses créations griffées Chanel), elle était l'une de ses "héroïnes de coeur" : nul doute que lui aussi, qui lui avait en personne remis en 2011 un prix humanitaire décerné par l'Association mondiale des amis de l'enfance, était influencé et enrichi par leur relation exceptionnelle.
Ces dernières années, leur profonde amitié quittait ponctuellement sa discrétion usuelle et jaillissait sur le Rocher monégasque, véritable facteur X du traditionnel Bal de la Rose : présidente de la Fondation Princesse Grace de Monaco, bénéficiaire de ce grand gala caritatif qui lance chaque année en mars le calendrier des mondanités en principauté, Caroline de Hanovre avait fait de Karl Lagerfeld l'architecte attitré de l'événement. Ainsi la Salle des Etoiles du Sporting de Monte-Carlo s'est-elle successivement trouvée imprégnée de l'ambiance Belle époque (2013), du futurisme du constructivisme russe (2014), des ondes Art déco (2015), de la fièvre cubaine (2016), du romantisme viennois (2017) ou encore de la frénésie et du gigantisme urbain de New York, l'an dernier.
Un rendez-vous que les membres de la famille princière n'ont jamais manqué d'honorer avec enthousiasme, le Kaiser se mêlant à eux pour quelques photos souvenirs, après des mois de labeur. Fatigué dernièrement au point de ne pas paraître à l'issue du défilé Chanel présenté en janvier pendant la Fashion Week de Paris, avait-il eu l'énergie de réfléchir à l'édition 2019 ? Gageons qu'elle saura refleurir pour mieux se souvenir de lui...
GJ