Lorsque la fin d'année aux États-Unis rime avec préparatifs en vue des Oscars, en France, c'est la mise en ordre de bataille des grandes productions destinées aux familles. L'Odyssée de Pi, que réalise Ang Lee (Tigre et Dragon, Le Secret de Brokeback Mountain), se paye le luxe de rentrer dans ces deux cadres. D'une part, parce que le film a reçu des critiques fort élogieuses de l'autre côté de l'Atlantique, ce qui fait de lui un bon outsider aux statuettes, et d'autre part parce que L'Odyssée de Pi est assurément le film de cette fin d'année, un grand divertissement visuellement ébouriffant et aussi poignant que fédérateur par son histoire.
C'est quoi L'Odyssée de Pi ?
Été 2012, la Fox et Ang Lee ont levé le mystère planant autour de Life of Pi (L'Odyssée de Pi, en français). Après un teaser alléchant, une bande-annonce des plus resplendissantes est dévoilée sur la Toile. Adapté du roman à succès de Yann Martel, L'Odyssée de Pi raconte l'incroyable périple de Pi Patel, 17 ans, qui se retrouve seul et à la dérive au milieu de l'océan après le terrible naufrage du cargo qui les emmenait lui et sa famille vers une nouvelle vie. A bord d'un canot de sauvetage, Pi doit affronter la nature marine et... Richard Parker, un superbe tigre du Bengale qui va devenir son inattendu compagnon de route.
En l'espace de 2h05, Ang Lee raconte une magnifique et bouleversante histoire, aussi agréable, de par son originalité, à suivre qu'à voir. L'Odyssée de Pi est un petit bijou visuel, doté de la 3D et tourné avec les mêmes technologies que James Cameron pour Avatar. Un long métrage, qui derrière son enveloppe charnelle, propose une véritable réflexion sur la place de la spiritualité dans ce genre de situation irréaliste, l'espoir et le courage d'un adolescent témoin et acteur d'un récit épique dont on ne peut sortir indifférent.
L'Amérique adopte Pi : en route vers les Oscars ?
En salles depuis le 21 novembre aux Etats-Unis, L'Odyssée de Pi n'a pas manqué de déclencher des vagues de critiques enthousiastes. Ainsi, le Hollywood Star assure que le film "est ce que le cinéma peut faire de mieux" alors que le New York Post ne tarit pas d'éloges, affirmant que ce long métrage "est visuellement le plus beau film qu'il ait été donné de voir cette année et même peut-être ce siècle". Un consensus sans équivoque, lorsque le Los Angeles Times croit savoir qu'Ang Lee a trouvé "sa pierre de résurrection" pendant qu'IGN évoque "une incroyable réussite" ou bien que The Hollywood Reporter souligne "un combat homme contre la nature que même les enfants pourront aisément digérer".
A l'instar du Miami Herald qui clame sans hésitation "n'attendez pas pour voir l'Odyssée de Pi", le film d'Ang Lee est appelé à fonctionner sur le bouche à oreille pour marquer le box-office américain, où il se frottera au nouveau Disney Les Mondes de Ralph, au dernier Twilight déjà en concurrence avec Skyfall alors que sort cette même semaine Les Cinq Légendes, autre grand hit de cette fin d'année.
L'incroyable histoire de Suraj Sharman, alias Pi Patel
Pour camper Pi Patel à l'écran, Ang Lee et son directeur de casting Avy Kaufman (Lincoln, Prometheus) ont misé sur un novice, Suraj Sharman. Ce jeune adolescent n'avait avant jamais tourné avant d'être Pi, pire, il n'avait aucune velléité de cinéma. 3000 adolescents ont été vus, entre les Etats-Unis, l'Inde, le Canada ou encore la Grande-Bretagne. Mais pas lui. Il préfère le foot, étudie l'économie et les maths et vient d'une famille relativement aisée, son père étant ingénieur en informatique et sa mère économiste. Le hasard – et la beauté de cette histoire – fait qu'un jour, Suraj décide d'accompagner son frère à une audition dans le simple but de pouvoir partager un Subway (sandwich) avec lui pour déjeuner. Son frère, Sriharsh, a fait quelques apparitions dans le cinéma, notamment chez Wes Anderson avec A bord du Darjeeling Limited en 2007. Le monde est petit, même en Inde.
A sa plus grande surprise, Suraj tape dans l'oeil du directeur de casting qui lui propose de faire un essai, vu qu'il a l'âge et le physique approprié. L'adolescent lit alors un manuel de survie et c'est le coup de foudre. Kaufman y voit un jeune Indien au naturel, loin des adolescents standardisés par Bollywood. L'ado voit sa vie basculer. Celui qui n'a jamais mis les pieds hors de l'Inde s'apprête à tourner – avec la difficile bénédiction des parents – dans une superproduction de 120 millions de dollars. Ang Lee dira de lui aujourd'hui qu'il a été malgré lui "un leader spirituel" sur le tournage. Suraj Sharman, 19 ans aujourd'hui, continue d'étudier la philosophie au St. Stephen College de New Delhi. Il rêve d'intégrer l'université de New York pour étudier le cinéma et souhaiterait passer derrière la caméra, même s'il pense jouer encore.
Ang Lee, chef d'orchestre éclectique
Si L'Odyssée de Pi semble aujourd'hui faire l'objet d'un plébiscite, tout n'a pas été simple depuis qu'une production s'est intéressée de près à cette oeuvre signée Yann Martel. En 2002, la Fox 2000 Pictures via sa présidente Elizabeth Gabler achète les droits. M. Night Shyamalan (Sixième Sens), Alfonso Cuarón (Harry Potter et le Prisonnier d'Askaban), Jean-Pierre Jeunet (Un long dimanche de fiançailles) seront un temps contactés, avant de quitter le navire. Le projet revient à Ang Lee, réalisateur extrêmement volage, capable de passer de l'intime au spectaculaire.
L'Odyssée de Pi, qui se pose comme sa première expérience en 3D, rappelle la force émotionnelle d'histoires que le réalisateur conta par le passé. Des arts martiaux façon grand divertissement (Tigre et Dragon) à l'homosexualité (Garçon d'honneur, Le Secret de Brokeback Mountain) en passant par le film en costumes (Raison et sentiments) ou l'histoire chinoise (Lust, caution), Ang Lee diversifie ses sujets, voyage d'un pays à l'autre et glane de multiples récompenses (3 Golden Globes, 2 Oscars, 2 Lion d'or à Venise et 2 Ours d'or à Berlin). L'Odyssée de Pi pourrait marquer la consécration d'un chef d'orchestre virtuose.
L'Odyssée de Pi en salles le 19 décembre 2012