Des obsèques et un hommage funèbre en l'espace de quelques heures : Felipe et Letizia d'Espagne ont vécu lundi 24 mars 2014 une journée bien noire.
Alors que le pays est plongé dans un deuil national de trois jours, décrété à la suite de la disparition, dimanche, d'Adolfo Suarez, qui fut le premier chef du gouvernement espagnol après la mort de Franco et le grand artisan de la transition démocratique, c'est à une autre personnalité que l'héritier du trône a d'abord dû aller rendre les derniers hommages.
Si son père le roi Juan Carlos Ier, très affecté et accompagné par son épouse la reine Sofia et leur fille aîné l'infante Elena, était le premier à aller se recueillir devant le cercueil de celui avec qui il posa les fondations démocratiques de l'État moderne espagnol et à présenter de manière très touchante ses condoléances à la famille, dans la chapelle ardente aménagée au Congrès à Madrid, le prince des Asturies assistait pour sa part à Bilbao aux obsèques d'Iñaki Azkuna, maire de la ville, décédé le 20 mars à l'âge de 71 ans au cours de son mandat.
Lui aussi s'était signalé dans l'exercice de ses fonctions politiques : en 2012, Iñaki Azkuna Urreta s'était vu décerner le World Mayor Prize, distinction réservée aux maires les plus remarquables dans le monde. Le prince Felipe, qui présidait la cérémonie funèbre, et son épouse Letizia n'ont pas manqué de saluer la mémoire de cet homme qui laisse orpheline la ville basque dont il était le maire depuis 1999.
Ce n'est que vers 15h, à leur retour de Bilbao, que le prince et la princesse des Asturies, en tenue de deuil, ont pu à leur tour se rendre dans la salle des pas perdus du Congrès, à Madrid, pour adresser leurs condoléances au fils d'Adolfo Suarez, Adolfo Suarez Illana, et à ses proches. Depuis le milieu de la journée, le sanctuaire contenant provisoirement la dépouille de l'artisan de la démocratie était ouvert aux Espagnols, nombreux à vouloir dire adieu à ce héros de la nation cher à leur coeur (des files d'attente de centaines de personnes se sont formées), mais Felipe et Letizia ont évidemment eu la priorité et l'exclusivité des lieux, à leur arrivée.
Salués par le personnel politique présent sur place (les quatre présidents du gouvernement de l'ère démocratique encore en vie, Felipe González, Jose Maria Aznar, Jose Luis Zapatero et Mariano Rajoy, avaient accueilli le cercueil dans la matinée), le prince Felipe d'Espagne a témoigné avec une affection toute particulière, comme son père précédemment, son soutien aux proches du défunt, cheville ouvrière de l'avènement de la démocratie dans le pays. Après quelques minutes de recueillement dans la chapelle, le prince et la princesse des Asturies sont sortis, le visage fermé. "C'est une grande perte pour l'Espagne", a sobrement réagi l'héritier de la couronne.
Désigné chef du gouvernement en juillet 1976 par le roi, Adolfo Suarez, qui fut un cadre du franquisme avant de prendre la tête du parti centriste UCD (Union du centre démocratique), a mené les grandes réformes qui ont permis à l'Espagne de tourner la page de la dictature : légalisation des partis politiques, y compris celle, controversée, du Parti communiste, en avril 1977, amnistie des prisonniers politiques et rédaction, puis approbation par référendum, le 6 décembre 1978, de la Constitution. À partir de 1979 cependant, sa popularité s'est effritée, plombée par la crise économique, l'agitation des militaires, les questions sur l'autonomie des régions espagnoles et l'action violente du groupe indépendantiste basque ETA. Il démissionnera par surprise en janvier 1981, quelques semaines avant la tentative de coup d'État du 23 février - jour de la passation de pouvoir de Suarez à son successeur -, finalement bloquée par le roi.
Les portes du Congrès seront fermées mardi matin à 10h pour permettre la cérémonie d'adieu prévue à 11h. À 11h30, le cercueil partira pour la cathédrale d'Avila, région natale d'Adolfo Suarez, où se dérouleront ses obsèques privées. Des funérailles nationales se tiendront le 31 mars.