La justice a fait son choix. Liliane Bettencourt, à l'aube de ses 89 ans, sera placée sous tutelle, le plus haut niveau de protection judiciaire, annonce ce lundi 17 octobre Me Charlotte Robbe-Phan, l'avocate de sa fille, Françoise Bettencourt-Meyers, après l'audience devant la juge des tutelles de Courbevoie (Hauts-de-Seine), Stéphanie Kass-Danno. Les avocats de Mme Bettencourt ont fait appel de cette mise sous tutelle, un appel qui n'est pas suspensif.
L'héritière du fondateur de L'Oréal, à la tête de la troisième fortune de France, va être sous tutelle de son petit-fils aîné Jean-Victor Meyers, tandis que ses biens et son patrimoine sont placés sous la tutelle de sa fille Françoise et de ses deux petits-fils. Tout ce que la milliardaire ne voulait à aucun prix !
Comment Liliane Bettencourt va-t-elle réagir à cette terrible décision ? Dans une interview au Journal du dimanche du 16 octobre, elle avait clamé, si la justice devait décider de sa mise sous tutelle : "Je pars à l'étranger. Si ma fille s'occupe de moi, j'étoufferai. [...] Françoise veut me manoeuvrer, elle se sentira mieux quand elle manoeuvrera, mais moi, je m'en sentirai beaucoup plus mal. Au point, peut-être que je n'aurai plus envie de vivre." Des propos désespérés, qui ont surpris l'un de ses avocats, maître Jean-René Fartouat, contacté par Le Parisien la veille de la décision : "Nous n'avons jamais évoqué ensemble l'idée d'un départ à l'étranger. De toute façon, en cas de placement sous tutelle, elle ne pourrait pas quitter la France."
Les paroles de Liliane Bettencourt au JDD témoignent de la douloureuse relation entre cette femme et sa fille. "Je ne sais pas non plus si elle m'aime... Quand on fait des choses comme elle fait, on ne sait pas. [...] C'est tout ce qu'elle veut, m'épuiser." Dans le même entretien, elle a ajouté : "Tout cela est disproportionné. Elle a essayé de prendre ce qu'elle voulait, mais c'est une emmerdeuse. Elle s'est réservé beaucoup d'argent dans tout cela, et il ne faut pas croire que tout soit désintéressé. C'est peut-être une explication." Sa fille avait réussi à écarter le photographe François-Marie Banier de sa mère. Cependant, elle a subi une défaite face à Me Pascal Wilhelm, nommé bras droit de Liliane Bettencourt suite à l'éviction de son précédent homme de confiance Patrice de Maistre, en ne réussissant pas à prouver qu'il avait commis de faute déontologique lors d'une transaction de l'héritière L'Oréal. Cette fois, Françoise Bettencourt-Meyers est gagnante puisque le mandat de Pascal Wilhelm est révoqué de fait par la décision de la juge des tutelles.
Quelles sont les conséquences de cette mise sous tutelle ? Elle pourrait remettre en cause le mandat d'administratrice de la multinationale L'Oréal. Liliane Bettencourt est, avec 30,9% du capital, première actionnaire du leader mondial des cosmétiques, "une participation qui est valorisée environ quinze milliards d'euros", indiquait Le Parisien la veille. Cette tutelle lui fera perdre son siège d'administratrice de L'Oréal et la présidence de la holding qui contrôle les parts familiales dans le groupe, précise Le Monde. Selon sa fille Françoise Bettencourt-Meyers, la tutelle de sa mère n'aura pas de conséquence sur L'Oréal, mais il est difficile d'évaluer l'impact sur le groupe de cosmétiques, dont l'autre grand actionnaire du groupe est le Suisse Nestlé.
Cette annonce a été précédée du rapport d'expertise médicale rendu à la fin du mois de septembre et qui a été révélé par le site Le Monde.fr, déclarant que Liliane Bettencourt souffre d'une "démence mixte" et d'"une maladie d'Alzheimer à un stade modérément sévère", avec "un processus dégénératif cérébral lent". Les experts estiment que Mme Bettencourt "présente une maladie d'Alzheimer à un stade modérément sévère avec une possible participation vasculaire" et qu'elle est la proie d'un "processus dégénératif cérébral lent et progressif", ajoute le site du quotidien.
Toutefois, l'entourage de Liliane Bettencourt ne cautionne pas ce rapport, rendu par les médecins qui avaient accompagné un juge d'instruction bordelais en juin au domicile de la milliardaire à Neuilly-sur-Seine, clamant que des policiers qui accompagnaient le juge d'instruction à 8 heures du matin ne lui avaient pas laissé le temps de se munir de ses appareils auditifs. Ses avocats avaient demandé l'annulation de cette expertise médicale. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux examinera le 10 novembre cette demande. Par ailleurs, Liliane Bettencourt avait finalement décidé d'accepter une expertise médicale, une information parue dans Le Figaro du 4 octobre.
Pascal Wilhelm est très triste pour sa cliente : "Je ressens cette décision comme une profonde injustice pour Liliane Bettencourt. J'avais proposé à la juge des tutelles en juin de modifier les modalités du mandat de protection mais cette décision montre que l'on méprise la volonté de Mme Bettencourt. Ce jugement n'est pas acceptable pour elle."
Il est certain que cette femme drôle et enjouée, qui a essayé durant son existence de mettre un peu de piment dans sa vie en tentant de s'amuser un peu, doit depuis ce matin être complètement paniquée à l'idée de dépendre totalement de cette fille psychorigide qu'elle ne comprend pas. D'être sous sa "totale dépendance", "en prison" comme elle l'a dit, ne peut qu'être insoutenable. Quelle tristesse que les histoires d'argent passent avant les liens de la famille. On ne pouvait pas laisser cette vieille dame finir tranquillement ses jours ?